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sympathies, à ne pas recourir à des moyens révolutionnaires. Il savait fort bien qu’il ne dépendait pas de nous de soustraire notre allié, le Piémont, à ses attaches révolutionnaires. N’était-ce pas pour un peuple en révolution, soulevé contre la domination étrangère, que nous combattions dans les plaines de la Lombardie ?

Il semblait que le jeu de la Russie, libre d’engagemens contractuels, était de laisser les événemens se développer, et, la France et l’Autriche affaiblies, d’intervenir, à titre d’arbitres, comme le Neptune de Virgile, à l’heure psychologique. Elle savourait évidemment le plaisir des dieux en voyant aux prises les deux puissances qui lui avaient fait perdre, l’une par sa perfidie, la seconde par ses armes, en s’alliant à l’Angleterre, la situation prépondérante qu’elle avait occupée dans les conseils de l’Europe depuis 1815.

Le langage de son ministre, en tout cas, n’avait plus rien de réconfortant. Menacé sur le Rhin, sans être certain d’une intervention armée, résolue, de la Russie en notre faveur, — et malheureusement il n’en était pas question, — le gouvernement impérial pouvait être contraint d’un instant à l’autre, au premier échec, à se préoccuper de sa propre sécurité, au lieu de guerroyer au-delà des Alpes pour le compte des Italiens.

Les nouvelles que nous recevions d’Allemagne confirmaient les appréhensions du cabinet de Pétersbourg. Le gouvernement prussien, qui, au début des complications, enveloppait avec soin sa pensée dans des expressions rassurantes, commençait à donner à ses paroles un caractère d’ambiguïté inquiétant. Après nous avoir promis sa neutralité, sans la proclamer toutefois, il disait que le but de sa politique était le maintien de l’état légal de l’Europe, c’est-à-dire le maintien du statu quo territorial. Il se préoccupait du Mincio et rappelait que déjà, en 1848, le parlement de Francfort, en souvenir sans doute de l’asservissement de l’Italie sous les Hohenstaufen, avait déclaré que cette ligne était pour l’Allemagne d’une importance stratégique de premier ordre. Le passage du Mincio entrait évidemment dans les prévisions des cabinets de la confédération, et tout autorisait à craindre que, le jour où nos armées le franchiraient, l’Allemagne se soulèverait. Tous les gouvernemens confédérés s’y préparaient ; ils faisaient secrètement ce que la Prusse faisait publiquement, ils mettaient sur pied de guerre toutes leurs armées, avec une ardeur fébrile qui contrastait singulièrement avec leurs habitudes nonchalantes et pacifiques. Baden portait spontanément son contingent de 15,000 hommes à 25,000) et la Bavière le sien de 50,000 à 100,000. La Prusse avait déjà mobilisé six corps d’armée, et elle en avait trois sur le pied de préparation, ce qui lui permettait de faire entrer en ligne, en peu de jours, près de 400,000 hommes, sans compter les armées fédérales,