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l’empereur Guillaume à Rome, dont M. Crispi parlait encore tout récemment. Aujourd’hui les illusions commencent un peu à se dissiper, et depuis que le parlement est réuni, on ne peut s’y tromper, il y a un sentiment de malaise qui se traduit dans les discours, dans une certaine opposition timide et décousue encore peut-être, déjà visible et impatiente pourtant. On se réveille en face de la réalité, des déficits croissans du budget, des crises du travail. Le nouveau ministre du trésor, que M. Crispi a récemment adjoint à son cabinet, M. Perazzi, ne l’a point caché dans un exposé financier, œuvre d’une sincérité courageuse et sensée. Il a nettement avoué qu’on avait abusé, que l’Italie a eu, il y a quelques années, sa période de prospérité, et qu’elle en est aujourd’hui à la phase des mécomptes, que le déficit est de 191 millions, et qu’il faudra de toute façon ralentir les dépenses, recourir à des taxes nouvelles. L’état financier n’a donc rien d’absolument rassurant, et il a surtout cela de caractéristique, de grave, qu’il se lie à une crise économique assez générale, dont la dénonciation du traité de commerce avec la France est certainement une des causes. Le fait est que, soit par l’excès des entreprises, soit par la suppression des débouchés les plus naturels, l’agriculture, l’industrie, le travail, souffrent cruellement au-delà des Alpes. Dans toutes les régions, à Rome et dans les provinces, dans les Fouilles comme en Lombardie, en Sicile comme dans les Romagne8, les faillites se multiplient, la détresse est extrême. Voilà la vérité!

Le malheur est que ces crises du travail, arrivées à un certain degré d’intensité, finissent fatalement par des violences, par des scènes comme celles qui se sont passées récemment à Rome. Elles ont le plus souvent les mêmes causes, elles ont toujours les mêmes effets. On a voulu transformer Rome, faire une Rome nouvelle avec ses boulevards, avec ses monumens. On a engagé d’immenses travaux qui ont surexcité l’esprit de spéculation, pour lesquels il a fallu attirer des masses d’ouvriers. On a créé un mouvement factice qui a tourné toutes les têtes. Le jour est venu où tout cela a fini par la ruine de toutes les entreprises et de toutes les fortunes, par la faillite, par la suspension forcée du travail, — et tous ces ouvriers qu’on avait attirés, qui ont été sans doute excités par les propagandes socialistes, se sont jetés dans la rue en réclamant, eux aussi, la révolution sociale. Ils ont saccagé, dévasté, épouvanté Rome pendant quelques heures. C’était la première fois que des scènes semblables se produisaient à Rome, et le gouvernement paraît s’être laissé un peu surprendre. La force publique, tardivement appelée, a sans doute bientôt repris possession de la ville ; mais le mal était fait et le remède n’est pas facile. M. Crispi s’est plu, on ne sait pourquoi, à donner un rôle dans ces troubles aux associations qui se sont récemment formées pour soutenir la politique