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la pensée de décliner d’avance la couronne, il y aurait son fils, l’archiduc François-Ferdinand, qui est un prince de vingt-cinq ans. Il n’y a point d’ailleurs à prévoir de si loin. Le fait est que l’empereur François-Joseph n’est point à un âge où la vacance du trône puisse apparaître comme une éventualité prochaine, et que, dans tous les cas, il a autour de lui toute une lignée de princes faits pour lui succéder. C’est tout ce qu’on peut dire, c’est assez pour qu’il n’y ait ni doute ni trouble dans la transmission du pouvoir souverain. Il est pourtant évident que cette disparition d’un jeune prince qu’on s’était accoutumé à voir grandir pour le règne ne peut pas être considérée comme un simple accident sans gravité et sans conséquence. C’est au contraire un événement qui peut être sérieux pour l’avenir, qui l’est dès aujourd’hui, d’autant plus qu’il éclate dans un moment où les complicalions extérieures et intérieures ne manquent pas dans l’empire. Si engagée qu’elle soit avec l’Allemagne, l’Autriche n’en est peut-être pas à sentir le poids de la triple alliance et à se ménager la possibilité de nouvelles combinaisons diplomatiques. Elle a aussi devant elle bien des problèmes intérieurs, et un des plus pressans aujourd’hui est cette loi militaire qui est l’objet de discussions passionnées dans le parlement de Pesth, qui, malgré l’insistance de l’empereur lui-même, du ministère de la guerre de Vienne, n’a pas pu jusqu’ici triompher des résistances hongroises. Tout se réunit pour créer une situation que la disparition du jeune archiduc n’aggrave pas si l’on veut, qu’elle a peut-être plus vivement mise à nu, et qui ne laisse pas d’être difficile, de rester incertaine pour l’avenir. Et voilà comment les états les plus stables eux-mêmes ont leurs épreuves, dont toute leur politique peut un jour ou l’autre se ressentir!

Quelles que soient les différences des situations, les crises sont toujours des crises pour tous les pays, et si l’Italie, heureusement pour elle, n’a point, comme l’Autriche, ses drames dynastiques, elle n’a pas moins ses embarras, ses malaises, ses incidens pénibles, qui sont la rançon de toute une politique. Évidemment, l’Italie a eu, depuis quelques années, l’ambition des grandeurs; elle a eu le goût des expéditions lointaines, des grands travaux, des grandes combinaisons diplomatiques et des grands armemens, qui ne vont pas sans les grandes dépenses. Pour faire honneur à ses alliances nouvelles, elle a cru pouvoir sacrifier jusqu’à ses relations industrielles et financières avec la France, en dénonçant un traité de commerce utile aux deux pays. Bref, elle s’est engagée dans des expériences hasardeuses et de vastes entreprises, sans trop proportionner sa politique à ses forces ou à ses intérêts. Pendant quelques années, l’Italie a pu avoir toutes les illusions du grand rôle qu’on lui promettait, et une des dernières scènes faites pour flatter son orgueil a été cette représentation du voyage de