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aisément d’ailleurs qu’il a eu pour complices ses adversaires plus ou moins dissimulés, les opportunistes, qui pour le coup ne lui ont pas manqué. Il livre aujourd’hui sa seconde bataille décisive pour la révision, sans s’apercevoir qu’avec sa diplomatie radicale il est la dupe d’une étrange confusion, qu’au moment même où il croit prendre des garanties préservatrices par le scrutin uninominal, il ébranle tout par la révision, il donne raison à M. le général Boulanger : de sorte que des deux principaux articles du programme auquel il a attaché sa fortune ministérielle, l’un contredit l’autre. La question est de savoir si M. Floquet réussira jusqu’au bout, s’il va avoir une majorité pour la révision comme il l’a eue pour le scrutin d’arrondissement, et, s’il a sa majorité, comment il réussira à concilier dans son gouvernement des idées aussi complètement incohérentes.

C’est en effet la faiblesse de ce radicalisme régnant aujourd’hui. Il y a des choses dont il ne se doute pas, sur lesquelles les événemens ne l’éclairent pas. Il reste fatalement agitateur, même quand il essaie de se modérer, et les réformes les plus simples, les plus rationnelles, il ne réussit qu’à les gâter, aies compromettre, en leur donnant le caractère d’une œuvre de parti ou d’un expédient de circonstance, en les faisant entrer de gré ou de force dans ce système de désorganisation croissante contre lequel le pays se cabre si violemment aujourd’hui. Évidemment, par lui-même, le scrutin qui vient d’être voté, ou si l’on veut rétabli, est le régime le plus naturel, !le plus logique, le mieux fait pour assurer une représentation sincère des vœux, des sentimens, des intérêts des populations. Il a de plus l’avantage de tempérer l’agitation électorale en la fractionnant, et les réformateurs improvisés, qui s’en aperçoivent un peu tard aujourd’hui, n’ont pas à convertir ceux qui, de tout temps, ont pressenti quelle intensité redoutable le scrutin de liste pouvait donner à des courans déchaînés, à des emportemens d’opinion. D’où vient donc que cet honnête scrutin d’arrondissement, qui vient d’être voté avec une hâte fiévreuse par le sénat comme par la chambre des députés, a pris pour ainsi dire une apparence suspecte, qu’il rentre dans le monde avec une sorte de défaveur qu’il ne mérite certes pas? C’est d’abord qu’il a un vice d’origine, qui risque de l’affaiblir dans son autorité morale. On a si bien pris son temps pour le rétablir qu’il a tout l’air d’être une représaille contre les électeurs parisiens, une réponse irritée à l’élection du 27 janvier. Un jour, il y a de cela près de quarante ans, sous la deuxième république qui régnait alors en France, Paris, qui est toujours la ville des fantaisies révolutionnaires, se donnait le plaisir de quelques élections retentissantes, et notamment de l’élection d’un socialiste qui avait, lui aussi, passé par d’autres camps. Aussitôt les chefs de partis qui gouvernaient l’assemblée du temps se rassemblaient