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Les îles, en effet, passèrent à la réforme en même temps que l’Angleterre par la volonté d’Henry VIII, et comme par une mesure administrative qui ne souleva pas grande opposition ni mécontentement, sinon des prêtres et des moines, dépossédés de leurs cures et de leurs couvens. Le roi confisqua et s’attribua les fiefs et bénéfices qui dépendaient de l’évêché de Coutances ou des monastères de Normandie. C’est en vertu de ce « droit » que la couronne nomme les recteurs et aussi qu’elle se réserve une forte partie du produit de la dîme. Les îles qui, malgré leur séparation d’avec la Normandie, dépendaient encore de l’évêché de Coutances, furent rattachées au diocèse anglais et anglican de Winchester. Le clergé de Jersey est sous la direction du « doyen » de Jersey, et nul ecclésiastique ne peut occuper cette dernière fonction s’il n’est né dans l’île. C’est le doyen qui préside la cour ecclésiastique à laquelle ressortissent les affaires matrimoniales, demandes en séparation de corps, en divorce, etc., puisque le mariage est un contrat religieux. L’autorité qui peut démarier est, en effet, celle qui a marié.

La réforme calviniste, apportée de France, avait de son côté fait de tels progrès dans les îles que plus tard l’église établie ou anglicane eut à lutter vigoureusement pour reprendre possession du terrain. Elle y parvint à peu près, avec l’appui du pouvoir. Les îles subirent, du reste, le contre-coup des persécutions religieuses, en sens inverse suivant le temps, qui signalèrent les règnes d’Henry VIII, Édouard VI, Marie et Élisabeth. Le catholicisme y reçut le coup de grâce avec le vandalisme ordinaire dans les persécutions religieuses. « Les idoles, livres papistiques et autres choses superstitieuses, » furent partout détruits, et le fait d’en posséder était puni de fortes amendes. Les détails de ces persécutions sont souvent cruels, comme il est toujours arrivé en matière religieuse. Les reviremens de la politique amenèrent pourtant quelquefois des épisodes qui égaient l’histoire, par exemple lorsqu’à l’avènement de Marie la Catholique, la messe en latin fut rétablie pour quelques années avec le catholicisme. « Les curés catholiques qui, pour conserver leur paroisse, avaient passé au protestantisme, recommencèrent à chanter la messe en latin. Quelques-uns s’étaient mariés et se trouvaient fort embarrassés de leur femme et de leurs enfans[1]. »

Les recensemens britanniques ne mentionnant pas la religion, il est difficile de se rendre un compte exact de la proportion numérique des diverses religions. Il ne paraît pas pourtant que l’anglicanisme ait la majorité ; il ne compte guère plus de la moitié

  1. M. Lelièvre, la Réforme dans les îles de la Manche, dans le Bulletin de la Société du protestantisme français, 1885, p. 13.