Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Encore même ce cours n’est-il pas toujours fréquenté par ceux qui en auraient le plus besoin.

Dans son Rapport de 1886, M. Luce se plaint que, dans plusieurs écoles, « les élèves les plus avancés sont abandonnés à eux-mêmes pour leurs études françaises, et qu’on se borne à leur conseiller d’apprendre la grammaire française. Ce manque de direction intelligente fait que l’étude du français est faible. » Et dans son rapport de 1887, après avoir constaté que l’étude de la langue française est loin d’être satisfaisante, M. Luce ajoutait : « La cause en est évidemment dans l’insuffisance de plusieurs membres du corps enseignant. Quelques-uns mêmes, après avoir obtenu le brevet de capacité requis, semblent se croire dispensés d’étudier davantage le français et finissent naturellement par devenir incapables de l’enseigner, ainsi que l’expérience ne le démontre que trop. En outre, quelques-uns d’entre eux, étrangers à notre île, se figurent sans doute que le français n’est qu’une langue d’agrément, et en conséquence ne prennent qu’un soin très médiocre de l’enseigner. Nous avons une tout autre idée de la langue française, qui est notre langue nationale, dont notre Robert Wace a fixé les principaux traits, et qui garde ses traditions les plus chères...» Les instituteurs étrangers auxquels M. Luce fait allusion sont des Anglais. Quelques-uns de ces instituteurs anglais, nous a-t-on dit, viennent dans les îles pour avoir occasion d’y apprendre un peu de français, et, quand ils ont obtenu ce brevet, retournent en Angleterre et se font regarder comme passés maîtres en français[1].

L’école ne contribue donc que peu à maintenir la connaissance grammaticale et littéraire du français parmi les jeunes générations. C’est par l’usage de la vie qu’il se maintient, surtout dans les paroisses rurales, et là encore l’anglais gagne tous les jours. On le voit aisément par la langue du culte. Dans les églises de Saint-Hélier, les services se font presque tous en anglais; les services en français sont l’exception. Dans les paroisses de Saint-Clément, de Grouville, de Saint-Martin, de Saint-Brelade, de Saint-Sauveur, de Saint-Jean et de la Trinité, il y a alternativement service français et service anglais; mais le service anglais est le plus fréquenté. Dans les quatre autres paroisses (c’est-à-dire celles de Saint-Ouen, Saint-Laurent, Saint-Pierre et Sainte-Marie), le service ne se fait encore qu’en français.

Nous parlons là du culte de l’église établie, autrement dit anglican.

  1. Dans les écoles de Jersey, on se sert, pour l’étude du français, de syllabaires et de premiers livres de lecture imprimés dans l’île. Les grammaires et les livres de lecture plus avancée viennent de France, La Comédie enfantine, de M. L. Ratisbonne, est, nous a-t-on dit, de lecture assez fréquente dans les classes les plus élevées.