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protocole d’entente générale et des protestations échangées dans de fugitives causeries, lui assurant une neutralité sympathique et la concentration d’une armée sur les frontières de la Gallicie. Il n’aimait pas se lier, il préférait se réserver une porte ouverte et s’en remettre à l’arrangement fatal des circonstances. Il compromettait le succès de ses combinaisons par le décousu de ses volontés.

L’empereur Alexandre, heureusement, était un souverain loyal ; son concours diplomatique ne nous fit pas défaut. Si, en 1870, il nous laissa écraser froidement, sans permettre aucune intervention, au mépris de ses intérêts, — la Russie elle-même le reconnaît aujourd’hui, — en 1857, du moins, son attitude nous fut sympathique, secourable.

Dès le début des complications italiennes, le gouvernement russe affirma son intimité avec la cour des Tuileries, il en exagéra même la portée, au point d’autoriser les interpellations de l’Angleterre et de la Prusse. — Au lieu de rassurer sir J. Crampton, l’envoyé britannique, le prince Gortchakof s’étonna de l’indiscrétion de ses demandes. « Un amant passionné, disait-il d’un ton sardonique, pourrait tout au plus adresser pareilles questions à sa maîtresse et, vous le savez, nous n’en sommes pas là. » Le ministre de Prusse à Pétersbourg, M. de Bismarck, qui, en 1805, à Biarritz, devait se donner le mérite d’avoir empêché l’intervention armée de son gouvernement, ne fut pas mieux partagé. Le prince cependant lui confessa que la Russie n’était engagée par aucun traité, bien qu’au lendemain de l’entrevue de Stuttgart il lui eût mis martel en tête, en parlant avec emphase « d’engagemens de haute portée conclus entre les deux souverains. » Cependant, pour ne pas trop le rassurer, il se hâta d’ajouter, en se redressant, que son maître entendait conserver sa liberté d’action et ne consulter que ses intérêts. Il savait que cette réserve serait assez éloquente pour tempérer les velléités belliqueuses du cabinet de Berlin. Elle suffisait alors, comme elle suffit aujourd’hui, pour provoquer ses protestations pacifiques.

La Prusse était fort perplexe, elle suivait les événemens avec anxiété, tiraillée en tous sens, supputant les chances, spéculant sur nos défaites, avec l’arrière-pensée de se ruer, disait-on, comme en 1813, sur nos armées en déroute. L’empereur n’avait cependant rien négligé pour lier partie avec elle. Dès son avènement au pouvoir, il s’était adressé à ses convoitises, et, menacée d’être exclue de la paix au sortir de la guerre de Crimée, il l’avait maintenue au rang de grande puissance en la faisant admettre, malgré l’Angleterre et l’Autriche, au congrès de Paris. Aussi, on l’a vu par sa lettre au comte Walewski, ne mettait-il pas en doute sa neutralité. A la