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que tous les immeubles de l’île sont grevés hypothécairement d’une foule de dettes, que ces dettes ne sont pas rachetables, et qu’il est impossible de purger les immeubles des innombrables hypothèques qui les grèvent. Le vendeur, de son côté, obligé de garantir, hypothèque de droit à sa garantie tous ses immeubles. Il en résulte des confusions inextricables, aperçues depuis longtemps, mais auxquelles les jurisconsultes jersiais ne trouvent pas de remèdes. Ce sont de terribles complications que celles du vieux droit normand, renforcé des coutumes jersiaises et de la jurisprudence de la cour qui, en quatre ou cinq siècles, a plutôt obscurci qu’éclairé la question. Les avocats jersiais s’y perdent, les magistrats, qui souvent n’ont pas fait d’études spéciales, s’y perdent mieux encore, mais on n’en est pas encore venu à l’idée d’une réforme sérieuse[1]. »

En effet, les anciennes redevances féodales se sont conservées et se paient en argent : c’est ce qu’on appelle les rentes. Ces rentes sont encore par quartiers ou denerels de froment, d’orge, etc., ou par couples ou pièces d’oies, de chapons, de poules, de poussins, ou même par œufs. Chaque année, aux chefs-plaids, la cour royale détermine la valeur correspondante en argent de chacune de ces rentes. Ces rentes sont payées aux « seigneurs, » c’est-à-dire aux représentans des droits des anciennes seigneuries, passées pour la plupart en des mains bourgeoises. A l’origine, cette redevance était due au seigneur comme loyer de la terre ou de la maison abandonnée au serf ou au vassal, et lorsque ces baux devinrent héréditaires et passèrent de père en fils, on tenait, suivant l’expression juridique, à fin d’héritage c’est-à-dire à perpétuité. Le terme « bailler à fin d’héritage, » que nous avons cité plus haut, signifie donc vendre une terre ou une maison que l’acheteur pourra laisser à ses propres héritiers, mais naturellement en payant les rentes dont ledit immeuble est grevé. Les formes extérieures du régime féodal ont été jusqu’à un certain point conservées ; car, deux fois par an, aux chefs-plaids de la cour royale, appelés aujourd’hui « assises d’héritage » (qui ont lieu en mai et en octobre, et auxquels assiste le lieutenant-gouverneur), les francs-tenans de la couronne et les seigneurs des fiefs sont tenus de répondre (en personne ou par procureur) à l’appel de leurs noms. Pour les anciens fiefs ecclésiastiques qui, depuis la confiscation de la réforme, appartiennent

  1. Ch. Dubois, la Communauté de l’île de Jersey, dans les Mémoires de l’académie des sciences, etc., d’Amiens (3e série, t. Ier, , 1874, p. 52). — Les complications et les inutiles archaïsmes des institutions et des lois de Jersey ont également frappé des écrivains anglais. (Voir l’article intitulé Jersey Affairs, dans le Fraser’s Magasine de juillet 1875.)