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pour leur situation sociale, ce qu’on appelle familièrement the great unpaid, — Et encore ne sont-ils pas élus, mais choisis d’après leur situation terrienne et sociale, — commence à être battue en brèche, et à côté de ces magistrats improvisés commencent à figurer des magistrats payés (stipendiary) et choisis parmi des hommes de loi. A Jersey, où les «jurés-justiciers » sont élus au suffrage universel des contribuables, ces élections présentent souvent des scènes aussi peu édifiantes que les élections politiques[1].

Au-dessous de la cour royale siègent un tribunal de police correctionnelle et un tribunal pour le recouvrement des menues dettes, qui sont présidés par un juge salarié. Les causes criminelles appartiennent à la cour royale; la procédure ressemble à la procédure anglaise, et, comme celle-ci, elle donne à l’accusé les plus grandes garanties.

Une sorte de classement des affaires de police correctionnelle se fait préalablement dans le cabinet du connétable de Saint-Hélier, à l’hôtel de ville. Tous les matins, on lui amène les personnes arrêtées la veille pour ivresse, tapage nocturne, etc. Dans les cas légers, le connétable admoneste les délinquans et les fait remettre en liberté. Dans les cas plus sérieux, ou quand il y a récidive, ou plainte formelle d’une partie intéressée, il les renvoie devant le tribunal de police correctionnelle. Dans les cas de querelle, le connétable concilie les parties et leur fait promettre « d’observer la paix » pendant un certain temps. Cela n’est pas toujours aisé, si nous en jugeons par certaine querelle entre Irlandaises qui faisaient retentir la salle de leurs cris aigus, le matin où M. le connétable Baudains nous permit d’assister à cette audience (qui n’est pas publique).

La loi civile des îles est l’ancien coutumier de Normandie, récemment réédité comme « code » du pays[2]. Il subsiste avec toutes ses particularités et toutes les complications qu’y ajoutent les prescriptions du droit féodal religieusement conservées. « Presque tous les immeubles, dit un juriste français, sont tenus à fief, et, à ce titre, grevés de rentes perpétuelles en vertu de l’hypothèque générale qui s’attache à tous les contrats ; chaque acheteur qui acquiert un immeuble ainsi grevé grève tous ses autres immeubles, affectés à l’accomplissement de son obligation. Il en résulte

  1. On peut voir le récit d’une élection de juré-justicier dans les Souvenirs de Jersey, par Auguste Luchet, réfugié politique. Saint-Hélier (sans date), p. 110 et suiv.
  2. L’Ancienne coutume de Normandie, réimpression éditée avec de légères annotations par William-Laurence de Gruchy, juré-justicier à la cour royale de l’île de Jersey, membre de la Société des Antiquaires de Normandie. Jersey, Charles Le Feuvre, 1881.