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Les colorans employés sont tantôt d’origine végétale[1], tantôt, mais plus rarement, de nature animale[2] ; presque toujours la fraude s’opère au moyen des dérivés artificiels préparés au moyen du goudron de houille et se rattachant par leur structure chimique au groupe dont la benzine forme le noyau[3]. Il est aisé de comprendre que les teintures de la première des trois catégories, moins différentes par leur constitution des véritables principes rouges du vin, sont par cela même les plus difficiles à découvrir et à signaler. Malheureusement pour le public, et heureusement pour les experts chimistes, les fraudeurs opérant en 1888 préfèrent de beaucoup employer les composés obtenus par synthèse chimique, parce que ces drogues, tout en ne coûtant pas cher, colorent magnifiquement les vins, et peut-être aussi parce qu’on les vend sous des noms de fantaisie (terminés en « ine, » afin de leur donner une apparence scientifique) propres à éblouir la niaiserie des sophistiqueurs.

Certains auteurs spécialistes ont dû consacrer des volumes entiers à la description des effets de cette triple série de fraudes, ainsi qu’à l’énumération des moyens qu’on emploie pour les dévoiler. Il nous serait impossible d’embrasser tous les cas particuliers de ce vaste sujet, même en nous limitant à une énumération fastidieuse. Désirant toutefois ne pas laisser absolument de côté une question aussi importante, nous nous bornerons à dire quelques mots des falsifications les plus fréquentes ; mais, à ce propos, il ne faut pas oublier que la mode règle l’emploi des teintures artificielles elles-mêmes, et que plusieurs de celles-ci, pour des motifs qui seraient trop longs à exposer, sont délaissées peu à peu, après avoir été fréquemment mises en usage.

L’alun sert quelquefois d’auxiliaire aux principes colorans de nature végétale, dont il embellit la nuance et dont il augmente sensiblement la fixité. Les sels d’alumine, en effet, se combinent aisément avec les substances tinctoriales pour former des « laques » de nuance brillante; introduit dans un vin pur, l’alun, agissant sur les œnolines, en corsera la nuance, purifiera le liquide, et lui donnera la saveur caractéristique un peu âpre, spéciale aux crus du Bordelais ou de la Bourgogne. Hâtons-nous de dire que cette pratique doit être condamnée ; l’alun, sans être précisément toxique, a des propriétés qui en rendent l’emploi dangereux, surtout à haute dose. Or M. Maumené affirme avoir analysé des échantillons

  1. Tels sont : la mauve noire, les baies de sureau, de troëne, de phytolaque, de myrtille; les décoctions de betterave rouge, de campêche, de bois de Fernambouc; l’orcanette, l’orseille, l’indigo, etc.
  2. Par exemple la cochenille.
  3. Comme la fuchsine, les couleurs d’aniline, le grenat, la safranine, etc.