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Si tout n’est pas fiction pure dans ces hardiesses d’imaginations débridées, serait-il impossible d’entrevoir le programme d’une vaste confédération entre des colonies et deux nations ne formant au fond qu’un même peuple, ayant même religion, même langue, mêmes lois[1]? On commencerait par une sorte de Zollverein, ou d’union douanière ; les États-Unis s’empresseraient de fournir presque exclusivement les denrées de première nécessité à l’île douairière, leur vénérable métropole. Viendrait ensuite l’union des flottes, déjà qualifiée de Seas Union, et enfin un syndicat politique anglo-saxon, de forme quelconque, aux combinaisons duquel le fédéralisme américain se prêterait à merveille. Chaque pays garderait son home rule, tout en acceptant le lien fédéral.

Verrait-on quelques lords sénateurs, accompagnés de hauts délégués coloniaux, aller siéger au sénat de Washington, et réciproquement quelques sénateurs lords venir prendre séance à la chambre des pairs de Westminster? Le gouvernement de la Grande-Bretagne se rapprocherait-il de la royauté présidentielle, ou l’Amérique inclinerait-elle vers une présidence monarchique? Non moins hardi que positif, M. Moncure Conway va droit au fait, et avec sa verve habituelle, il propose, comme le meilleur dénoûment, à d’importer aux États-Unis le prince de Galles pour l’investir de la présidence à vie. Car, dit-il, son éducation politique sous l’œil d’une reine strictement constitutionnelle, au sein de la paix et de la dignité domestique et nationale, a été infiniment plus saine que celle de nos candidats présidentiels de hasard... La présidence à court terme est plus funeste que la royauté. Celle-ci éteint les ambitions suprêmes ; la présidence les rallume et les exaspère. Chaque élection présidentielle est une révolution[2], » ajoute l’auteur, non sans exagérer toutefois. Ne serait-ce pas plutôt un œuf quadriennal contenant un germe révolutionnaire qu’il faut empêcher d’éclore, de peur que tôt ou tard ne sorte de sa coquille fragile une redoutable guerre de partis? La solution de M. Conway est aussi originale qu’imprévue ; son simple énoncé trahit quelque désarroi dans les idées républicaines.

Les sentimens de rivalité loyale entre les deux peuples étaient exprimés naguère avec des formes respectueuses et courtoises, gage d’une sympathie réelle que de récentes susceptibilités ne sauraient sérieusement compromettre. A l’occasion du jubilé de la reine d’Angleterre, au glorieux règne de laquelle il rend un juste

  1. On sait que la common law anglaise est encore en usage actuellement aux États-Unis.
  2. Notre roi en habit noir (The North American Review ; mars 1887).