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elle se brouillait avec la France, elle sait qu’elle l’aurait peut-être avec les États-Unis. D’ailleurs, elle n’est pas en état de faire la guerre : toute son armée est employée aux Indes, ses finances sont dans un mauvais état, et l’opinion publique est très favorable à un changement en Italie. Il y a donc quatre-vingt-dix chances sur cent pour que l’Angleterre observe une neutralité complète. Il est en effet difficile à croire que l’Angleterre irait faire la guerre à la France pour soutenir l’Autriche, c’est-à-dire pour des intérêts qui ne la touchent nullement. La Prusse est dans un état de transformation qui ne peut qu’accroître le système d’indécision qui préside toujours à sa conduite. Il serait facile, le cas échéant, de l’entraîner dans notre alliance ou au moins de s’assurer de sa neutralité ; elle n’aime pas l’Autriche, et comprendra que toute diminution de la puissance autrichienne profitera à la sienne. La confédération des petits états allemands, qui ne peuvent que perdre à la guerre, contribuera à entretenir la Prusse dans des idées pacifiques. Je crois donc que l’Allemagne restera tranquille.

« Quant à la Russie, elle aura d’abord l’attitude d’une neutralité bienveillante, mais elle réunira une armée de 150,000 hommes sur la frontière de la Gallicie, ce qui opérera une diversion heureuse pour nous, et la force des choses l’amènera probablement à faire la guerre à l’Autriche.

« Ainsi donc, d’après toutes les probabilités, non-seulement la guerre avec l’Autriche n’entraînera pas une guerre générale, mais, au contraire, l’Autriche se trouvera seule en présence de la France agissante, de l’Italie soulevée, de la Hongrie en fermentation et de la Russie menaçante.

« Tout concourt donc à présenter comme favorables les chances que la France peut avoir dans une lutte avec l’Autriche. À l’intérieur, la guerre réveillera d’abord de grandes craintes ; tout ce qui est commerçant et spéculateur jettera les hauts cris, mais le sentiment national fera justice de ces terreurs intérieures, et la nation se retrempera dans une lutte qui fera vibrer bien des cœurs, rappellera le souvenir des temps héroïques et réunira sous le manteau de la gloire des partis qui tendent tous les jours à se séparer de plus en plus. L’empereur Napoléon, dans ses Commentaires sur César, dit qu’après une guerre civile, il fallait à Rome une guerre étrangère pour amalgamer les restes de tous les partis et recouvrer les armées nationales. On peut dire qu’il en est de même après les révolutions.

« J’ai tâché de démontrer qu’une guerre avec l’Autriche serait désirable et que le moment actuel était favorable. Il me reste à déclarer néanmoins que la raison qui doit amener cette guerre doit être légitime et approuvée par l’opinion publique. Le gouvernement