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bas cours de la main-d’œuvre en un point quelconque du monde, aux Indes ou en Chine, par exemple, et ne les réduise ainsi à des salaires de meurt de faim (starving wages). Tout compte fait, dans l’état actuel des choses, les hauts tarifs leur paraissent la garantie indispensable d’un salaire vital suffisant, malgré les sacrifices qu’ils ont à subir de ce chef comme consommateurs.

Une clientèle électorale aussi nombreuse est à ménager. En face du drapeau républicain de la protection à outrance, les démocrates et le président candidat se gardaient bien d’arborer franchement l’étendard libre-échangiste. Leur programme timide restait largement protecteur ; les réductions de droits ne devaient guère porter que sur les matières premières et sur des articles n’ayant pas de similaires aux États-Unis. Quant au travail indigène, les deux partis étaient d’accord pour lui réserver le monopole de la production nationale par l’exclusion de la main-d’œuvre étrangère.

Les élections de novembre dernier ont assuré la victoire de M. Harrison et des républicains. Sous leur direction, les États-Unis demeureront sans doute plus protectionnistes que jamais, au moins pour un temps. Le maintien du régime douanier sera accepté sans grand enthousiasme, dit-on, comme la révision prudente des tarifs aurait été subie avec résignation. Il ne semble pas que cette lutte économique, ramenée à des proportions si exiguës, ait profondément remué les masses populaires. Celles-ci ne se sentaient pas atteintes au vif de leurs intérêts immédiats, quel que fut le résultat final. Le faible écart entre les vainqueurs et les vaincus, et les contradictions des derniers scrutins[1], laissent planer une fâcheuse incertitude sur la véritable opinion de la majorité. Le pays, habitué au système protecteur, y trouve l’avantage de conserver son indépendance d’action. Il hésite à s’aventurer dans l’inconnu d’une expérience nouvelle, et se défie des théories absolues du libre échange, qui ne lui permettrait plus d’être l’arbitre de son propre sort. Avant tout, les Américains veulent rester les maîtres chez eux. Leur situation agricole privilégiée, le superflu de leurs produits alimentaires les met à l’abri des représailles économiques périlleuses. Ils peuvent attendre tranquillement d’avoir acquis la supériorité industrielle définitive. Alors, rien ne les empêchera d’abaisser toutes les barrières et de faire du libre échange rémunérateur : ils seront les plus forts.

  1. Dans les élections parlementaires, les républicains n’ont obtenu qu’un faible avantage sur les démocrates. Dans l’élection présidentielle, quoique le candidat républicain ait été définitivement élu par les collèges du second degré, c’est son compétiteur démocrate, le président Cleveland, qui l’a emporté par quelques milliers de voix au scrutin primaire.