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son concours. Malgré ces conditions exceptionnelles, cent vingt-cinq compagnies avaient fait faillite avant 1876, avec un passif qui s’élevait à plus de 20 milliards de francs[1], et aujourd’hui encore la gestion de cent huit compagnies est confiée à des séquestres judiciaires.

De son côté, la vieille Europe, écrasée par des budgets de guerre ou de paix armée, a créé presque dans le même temps un système de voies ferrées fort peu inférieur en développement. Mais au prix de quelles dépenses, de quelles difficultés internationales, techniques, légales, économiques et militaires n’a-t-elle pas construit ce réseau soigné, qui va de Cadix et Lisbonne à Saint-Pétersbourg, de Brest à Moscou, pour atteindre demain Salonique et Constantinople, sans compter les lignes russes s’avançant jusqu’à Samarcande vers l’Asie centrale !

La réglementation européenne, surtout en France, a su éviter la plupart des inconvéniens de la liberté absolue, qui amène le plus souvent l’oppression générale par la guerre mutuelle, puis par la ligue des monopoles réconciliés au détriment du public. La législation sur les chemins de fer américains et les procédés des compagnies ont imposé des charges exagérées à la production, ou troublé toutes les relations commerciales par des crises artificielles et volontaires dont le pays eut fort à souffrir[2]. Une loi rendue indispensable par l’excès des abus, et votée le 4 février 1887, l’interstate commerce act, a chargé une commission spéciale de contrôler la gestion des compagnies et de régler les rapports entre les lignes d’états différens[3]. Les premiers travaux des commissaires ont montré que la question ne sera pas facile à résoudre.

Ce sont là quelques mécomptes, inséparables de la meilleure fortune. Les Américains, du haut de leurs prospérités, ne se formaliseront pas si on leur demande quels rapports directs la largeur et la longueur des fleuves, la profondeur des lacs, la richesse des mines et des puits de pétrole, l’étendue et la fertilité des terres, les quantités de coton, de blé ou de bétail peuvent

  1. Dans ces 20 milliards de pertes, les capitaux étrangers figuraient pour plus de 5 milliards.
  2. En 1869, au plus fort de la lutte entre les compagnies rivales, « les tarifs des transports entre New-York et Chicago ont varié de 1 dollar à 37 dollars 1/2 par tonne. Sur la ligne de Saint-Louis et sur celle de l’Érié, les tarifs ont sauté de 7 dollars à 46 et de 2 dollars à 37 par tonne. » (Charles F. Adams, The railroad system. )
  3. Par une disposition très libérale dont les États-Unis sont coutumiers, il a été décidé que sur les cinq membres composant cette commission, trois au plus pourraient appartenir au même parti politique.