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mais le pouvoir qui a voulu être fort chez lui, pour être à même de briser ses propres chaînes et de délivrer et civiliser les peuples. La maison d’Autriche amoindrie, notre influence s’accroîtra immédiatement en Europe. Les peuples nos voisins sur le Rhin, en Suisse, en Belgique, imploreront notre alliance, par crainte ou par sympathie, au lieu devenir comme aujourd’hui nous mordre les mollets. Alors la France, sans tirer de nouveau un seul coup de canon, pourra obtenir tout ce qu’il est juste qu’elle obtienne, et abolir pour jamais les traités de 1815.

« Enfin, si même l’Europe n’était point satisfaite, la France, assise solidement sur les Alpes et les Pyrénées, et confiante dans l’alliance des deux grands peuples de race latine comme elle, l’Espagne et l’Italie, sera plus en état que jamais de lutter, s’il le fallait, avec les puissances du Nord. »

« L’avantage est patent. — Mais, direz-vous, quelles sont les chances favorables ou défavorables qu’un tel projet présente ? Ne mettez-vous pas à néant le fameux discours de Bordeaux ?

« Il est clair pour tout le monde que lorsque l’empereur a dit à Bordeaux : L’empire, c’est la paix, il voulait par ces paroles rassurer l’Europe et faire comprendre qu’il n’irait pas de gaîté de cœur recommencer les conquêtes de son oncle. Personne cependant n’a pu comprendre par ces paroles que l’empereur s’engageait à ne jamais faire la guerre. Un gouvernement qui ferait une semblable profession de foi serait ridicule et impuissant même à maintenir la paix. Le véritable sens du discours de Bardeaux est donc ceci : « Je ne ferai la guerre que lorsque j’y serai contraint pour défendre l’honneur national et pour atteindre un but, grand, élevé et conforme aux véritables intérêts du pays. »

« Examinons si le moment est favorable et si le danger existe de voir dégénérer une lutte en guerre européenne.

« Pour une guerre quelconque, le moment n’est jamais tout à fait favorable. Tant d’intérêts se trouvent froissés, tant de fantômes sont soulevés par l’inconnu, qu’il suffit d’énumérer toutes les chances défavorables pour faire le tableau le plus sombre et le plus effrayant ; mais, pour mieux apprécier les choses, il faut se reporter à une époque passée afin de juger de la différence.

« Si Louis-Philippe avait voulu faire la guerre, sans même tenir compte des difficultés intérieures, il eût réuni toute l’Europe contre lui. L’Angleterre, habituée à se voir obéir à Paris, ne lui aurait pas pardonné de faire la guerre sans son consentement. La Russie eût fait sans aucun doute cause commune avec la Prusse et l’Autriche, et forcé aussi la confédération du Rhin à marcher à l’avant-garde.

« Aujourd’hui, cela est changé. L’Angleterre a une peur, horrible de la guerre, elle la redoute surtout avec la France et l’Amérique ; si