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littérature socialiste, indigène ou étrangère, circule aux États-Unis; son influence y grandit chaque jour. Les écrits de M. Most, de M. Philipps, de l’Allemand Karl Marx, de l’Anglais M. Ruskin, des chefs connus ou occultes du parti irlandais, sont lus avec confiance et avidité depuis les rives de l’Atlantique jusqu’à celles du Pacifique. Le novateur américain le plus populaire et le plus hardi, M. Henry George, indique clairement dans ses livres la situation pénible et les griefs de la classe ouvrière, ainsi que les destructions projetées. Mais il expose très vaguement les moyens de réaliser son idéal de société nivelée par la possession des terres en commun. Un de ses derniers ouvrages, Progrès et Pauvreté a fait grand bruit en Amérique. Au milieu de pensées confuses, de contradictions et de hardiesses singulières, entremêlées à de volumineuses banalités, on est surpris de rencontrer çà et là des aperçus ingénieux et des appréciations justes, dont l’auteur tire d’ailleurs des conclusions fausses.

Dans tout cet ensemble de revendications, de plaintes, de menaces, de théories et de projets, aucune solution rationnelle et pratique ne se révèle ; rien de nouveau n’apparaît. On y retrouve, sous diverses formes, les mêmes systèmes chimériques et surannés, tels que la nationalisation du sol, des instrumens de production et des capitaux, autrement dit la suppression de la propriété individuelle, base indispensable de la civilisation moderne. Ces doctrines, impuissantes à rien fonder, peuvent beaucoup pour détruire. Elles flattent en même temps les illusions de l’ignorance, trop portée à croire qu’il existe des remèdes empiriques à tous les maux, et les préjugés d’une demi-science, souvent sincère, qui en sait juste assez pour s’abuser par la forme doctrinale de ses erreurs.

Si la science et les économistes n’ont pas pu découvrir ou faire accepter toutes les solutions désirables, ils rendent d’inappréciables services, et contribuent dans une large mesure au progrès général. Leurs combinaisons de la production, de l’industrie et du commerce contemporains ont eu l’heureux résultat d’abaisser le prix des produits en élevant ou en maintenant le taux des salaires, de façon à augmenter beaucoup les facilités d’existence du plus grand nombre. Que les socialistes en fassent seulement la moitié autant, on leur en saura gré. Ils nous promettent bien le bonheur universel, mais c’est par les ruines et le sang qu’ils se disent forcés d’y préluder[1].

  1. Un volume anonyme, the Centennial of a Revolution, publié à New-York on 1888, conclut ainsi : « Dans la grande bataille des idées, faisons-nous solidaires des révolutionnaires de tous les pays, de ceux qui, en Europe, s’appellent l’Internationale. La révolution partout et n’importe où!.. Qu’ils viennent, les communistes, les anarchistes, les socialistes et tous les autres. Nous sommes tous à la nage avec eux dans le même courant. Vogue la galère! Lâchez tout! Vive la commune ! » Ces quelques lignes sont pleines de promesses.