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paraît devoir éclater d’abord dans notre pays. Les hommes sont naturellement disposés à s’en prendre de leurs maux au gouvernement, et à chercher des remèdes dans des combinaisons gouvernementales nouvelles. Ils espèrent soulager leurs infortunes en démocratisant de plus en plus le pouvoir. De larges concessions libérales suffiraient probablement ailleurs pour enrayer provisoirement les revendications socialistes; mais, en Amérique, tous les palliatifs, tous les subterfuges, tous les expédiens de ce genre sont épuisés. Aucun droit politique ne reste à offrir au peuple : il les possède tous. Aussi sera-t-il le premier à découvrir que le suffrage universel et le bulletin de vote ne sont pas une panacée souveraine. C’est ici que l’on a vu s’accomplir l’extrême et dernière évolution dans la forme du gouvernement; c’est ici que les fanatiques, les agités et les agitateurs seront les premiers à tenter de vivre sans gouvernement quelconque. Au-delà de la république, il n’y a plus que l’anarchie. »

Déjà le socialisme militant, avec ses journaux, son programme, ses forces prêles pour l’action, paraît plus solidement organisé aux États-Unis qu’en Europe. La grande armée du désordre se divise en différentes légions de mécontens, dont la nomenclature complète serait trop longue à donner. Chacun connaît la vaste association des Chevaliers du travail, dirigée par M. Powderly. On assure qu’elle est très dépassée aujourd’hui et en voie de décadence. Deux groupes principaux se partagent inégalement l’influence sur la classe ouvrière. L’un et l’autre se proposent de bouleverser les institutions économiques et sociales existantes. Mais le parti du travail, the Socialistic labor party, garde encore quelque mesure. Il n’attaque directement ni la famille ni la religion, et ne va pas jusqu’aux excès des anarchistes. Sa platform contient même, dit-on, certaines revendications raisonnables. Au contraire, l’Association internationale des travailleurs, qui réunit les plus nombreux adhérens, se montre aussi extrême que violente. Elle professe le matérialisme grossier, l’amour libre et l’anarchie. « A bas la propriété individuelle! A bas l’état et toute autorité! A bas la religion et la famille ! » Tel est son programme. « Agitation pour former une organisation insurrectionnelle, rébellion pour faire appel à la force, » voilà son cri de ralliement. « Écrasons les monopoles afin qu’ils ne nous écrasent pas, proclame le manifeste de Pittsburg. Sachons tuer quiconque s’oppose à nous, et jouer de la dynamite et du couteau. » Très divisées entre elles au sujet de l’ordre de choses à établir, les différentes sectes révolutionnaires s’entendent sur ce qu’elles veulent renverser, accord provisoire toujours facile.

En dehors de la presse périodique la plus avancée, toute une