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de ces coalitions financières avant de quitter le pouvoir, qu’elles ont contribué d’ailleurs à lui faire perdre. « Le communisme est une chose haïssable, une menace contre la paix et la bonne organisation du gouvernement, écrivait-il dans son message du 3 décembre dernier. Mais le communisme de la fortune et du capital combinés, l’expansion insolente des cupidités et des égoïsmes qui minent la justice et l’intégrité des institutions libres, ne sont pas un danger moindre que le communisme de la pauvreté et du travail exaspérés par l’oppression, et poussés par l’iniquité au désordre et à l’attaque des citadelles de la loi. » Ces paroles peuvent surprendre, écrites officiellement par un chef d’état. Elles en disent long sur la situation sociale de son pays. Parce que, ou bien que, récemment sortis des couches démocratiques, les merchant princes, les gros potentats de l’argent, auraient-ils, en Amérique, la main plus dure et plus pressurante qu’ailleurs? Selon M. Cleveland, leurs procédés creusent le gouffre, qui « va sans cesse s’élargissant entre deux classes nettement séparées, celle des riches et des puissans, et celle des travailleurs et des pauvres. »

Il serait déloyal de ne pas citer, en regard des rapacités du capital, les largesses extraordinaires de nombreux capitalistes américains, rivalisant de générosité pour secourir l’infortune privée et pour fonder une quantité d’œuvres et d’établissemens philanthropiques de tout genre. Qui ne connaît, entre tant d’autres, le nom d’un Peabody, donnant ses millions par vingt-cinq à la fois ? Tel possesseur d’un million d’acres de bonnes terres, M. Gerrit Smith, non content de consacrer au soulagement de la misère plus de 500,000 francs par an, distribuait en pur don trois mille fermes de 15 à 75 acres chacune, il s’en faut que les fortunes américaines soient toutes mal acquises ou mal employées. L’énergie, l’initiative et l’intelligence individuelles de ceux qui sont parvenus à les créer n’ont-elles pas contribué puissamment à la grandeur et à la prospérité nationales? En dépit des abus, on ne saurait méconnaître l’importante fonction économique du capital, son rôle indispensable et bienfaisant dans l’activité normale de la production, de la consommation et du commerce, comme dans l’accroissement de la richesse publique, qui ne pourrait exister et s’accroître sans richesse privée. Que gagnerait-on d’ailleurs à empêcher la formation de grosses fortunes particulières ou à les détruire, en dehors du plaisir de faire à son prochain le mal que l’on ne voudrait pas qu’il vous fît?

Faut-il omettre aussi de constater la part de responsabilité qui incombe aux classes laborieuses dans leurs propres malheurs? Les calculs les plus précis, renouvelés à maintes reprises en Amérique, en Angleterre, en France, en Belgique et en Allemagne; prouvent