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de cette force civilisatrice dont le capitaliste, grand ou petit, est le condensateur nécessaire et le véhicule.

En dehors des spéculations condamnables, comment la richesse du riche viendrait-elle aggraver la pauvreté du pauvre, d’après l’allégation américaine, puisque le capital disponible ne peut donner de profit ou de revenu qu’à la condition de se convertir annuellement en travail, en salaires et en produits, reconstitutifs eux-mêmes du capital par leur vente? Dans ce circulus économique, imposé par la nature des choses, la solidarité est étroite entre le travail, le capital et la main-d’œuvre, non sans notables avantages pour celle-ci. Le million de capital circulant, qui rapporte 40,000 fr. d’intérêts annuels à son propriétaire unique ou collectif, est distribué en salaires jusqu’à concurrence de 960,000 francs chaque année, et cela indéfiniment; car le million initial ne saurait être repris ou gardé sans cesser aussitôt d’être productif pour son possesseur. La part de la main-d’œuvre sur le capital d’autrui s’élève donc à 96 pour 100 ; la part du capitaliste sur son propre capital n’est que de 4 pour 100. Cette dernière rémunération d’un service éminent peut-elle être taxée d’excessive? En cas de désastre privé, c’est le capital qui, d’ordinaire, supporte à lui seul presque toutes les pertes. Une question si grosse et si complexe ne peut qu’être effleurée dans ces pages. Mais si les précédens calculs sont exacts, ce qui est vrai en Europe l’est aussi en Amérique.

Le taux des salaires et de l’intérêt, ainsi que le prix de toutes choses, est réglé par la loi fondamentale de l’offre et de la demande. Cette loi d’airain, comme on la nomme, ressemble, sous ce rapport, à toutes les lois naturelles, qui sont aussi des lois d’airain. L’homme a le droit ou le devoir de lutter sans cesse pour en atténuer les conséquences rigoureuses. Mais la science et l’expérience ne lui permettent pas l’espoir d’en supprimer les causes premières ni tous les effets fâcheux. La démocratie, dans le Nouveau-Monde et dans l’ancien, doit donc se résigner à les subir. Seulement on ne saurait admettre que les capitalistes, par des coups de pure spéculation, aient plus de droits que les travailleurs, par les révoltes et les grèves, à troubler le jeu régulier des lois économiques dans des vues de lucre et de profits personnels. L’Amérique surtout a vu s’organiser et grandir des syndicats de compagnies (trusts) et des monopoles assez puissans pour accaparer toute une industrie, amener tour à tour la hausse ou la baisse factice, et infliger ainsi des pertes et des privations cruelles aux producteurs, aux consommateurs et à la main-d’œuvre.

Le président Cleveland a cru devoir signaler publiquement le péril