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de sa main, il développa les idées dont il s’inspirait, moins peut-être pour le convaincre et le rassurer que pour justifier à ses propres yeux la gravité de ses déterminations. Recourant à la plus étrange argumentation, il se plaisait à tenir une guerre avec l’Autriche pour l’événement le plus heureux qui pût advenir à notre politique.

« La France, disait-il, a divisé ses ennemis, elle a séparé les membres de la coalition, mais elle ne s’en est approprié aucun ; elle n’a pas d’alliés véritables, parce qu’il n’y a aucun état dont les intérêts soient directement liés aux siens, dont l’existence dépende de la sienne ; et cependant une grande nation est comme un astre, elle ne peut pas vivre sans satellites. L’ancienne monarchie le comprenait, en cherchant sans cesse à s’appuyer sur l’Espagne et sur l’Italie pour résister à la maison d’Autriche. Aujourd’hui, la France est seule, entourée d’une ceinture de forteresses, élevées jadis pour la défendre, maintenant entretenues à grands frais pour l’attaquer et la contenir. Les jeunes générations, avec leurs passions ardentes, attendent le premier pas décisif que fera la France pour savoir si elles seront pour ou contre elle. L’empire est encore de fraîche date ; il est soumis aux tribulations de l’enfance. D’après la loi de la nature, les êtres qui grandissent doivent jeter leur gourme, et tant qu’ils n’ont pas eu une maladie obligée, on n’est pas sûr de leur vie. On voit bien l’empire florissant, fort, mais on attend qu’il ait subi l’épreuve de sa maladie originelle, héréditaire et fatale, que j’appellerai la réaction des traités de 1815. Tant que la crise européenne prévue depuis quarante ans ne sera pas arrivée, on ne jouira pas du présent, on ne croira pas à l’avenir. La guerre d’Orient pouvait être la révolution attendue, et c’est dans cet espoir que je l’ai entreprise. De grands changemens territoriaux pouvaient en être la conséquence, si l’indécision de l’Autriche, la lenteur des opérations militaires, n’étaient venues réduire à un simple tournoi les germes d’une grande révolution politique[1].

« Le terrain perdu en Crimée peut être regagné en Lombardie ; si la France, tout en chassant les Autrichiens de l’Italie, protège le pouvoir du pape, si elle s’oppose aux excès et déclare que, sauf la Savoie et Nice, elle ne veut faire aucune conquête ; elle aura pour elle l’Europe, elle se créera en Italie des alliés puissans qui lui devront tout et ne vivront que de sa vie, car leurs existences seront liées à la sienne. Un grand succès en Italie donnera un grand ébranlement à l’opinion publique en Europe, qui ne verra pas seulement dans le gouvernement français le Croquemitaine des anarchistes,

  1. voir, dans la Revue du 1er décembre 1888, l’article de Valbert sur les Mémoires du duc de Cobourg.