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par leur fermentation produisent, au moral comme au physique, ce que la science médicale appelle des foyers d’infection.

L’Amérique en a été préservée quelque temps. Devait-elle cette immunité à ses institutions populaires ? « Vous pouvez vous vanter de votre démocratie ou d’une… cratie quelconque, et de n’importe quel fatras politique, disait Carlyle à un Américain. La vraie raison pour laquelle votre population laborieuse vit satisfaite et prospère, c’est que vous avez une immense étendue de terres à la disposition d’un très petit nombre proportionnel d’habitans. » La quantité des terres publiques disponibles diminue rapidement ; 72 millions d’acres ont été concédés pendant le court espace de quatre années (1880-1884). Pourtant il en reste encore à distribuer, et déjà les difficultés au milieu desquelles se débat l’ancien monde ont fait leur apparition dans le nouveau. Que sera-ce quand l’espace libre n’existera plus, d’ici à vingt ou trente ans, dit-on? Les portes d’or du Pacifique livreront-elles passage à quelque lamentable exode du paupérisme américain, rejeté par l’Ouest vers les archipels et les contrées asiatiques? Verra-t-on alors, par un juste retour des choses d’ici-bas, la Chine relever définitivement sa grande muraille ?

L’alcoolisme, suivi du cortège habituel des maux privés qui en font un péril et un malheur publics chez les diverses nations du globe, exerce ses ravages aux États-Unis. Plus de 3 milliards 1/2 de francs y constituent le budget annuel de l’intempérance[1]. Contre ce fléau, la partie saine de la population combat avec une énergie qui honore son esprit conservateur. La campagne a été vigoureusement conduite, et couronnée de succès partiels aux élections locales. On a réussi dans plusieurs états à relever sensiblement le prix des licences, et à réduire ainsi le nombre des cabarets[2]. C’est un résultat.

  1. « Les statisticiens qui ont étudié spécialement la question de l’intempérance affirment qu’en 1879 le peuple allemand a dépensé en boissons enivrantes 650 millions de dollars (3 milliards 250 millions de francs ; le peuple français, 580 millions de dollars (2 milliards 900 millions de francs); le peuple anglais, 750 millions de dollars (3 milliards 750 millions de francs); le peuple des États-Unis, 720 millions de dollars (3 milliards 000 millions de francs), soit en tout la somme formidable de 2 milliards 700 millions de dollars, ou 13 milliards 1/2 de francs en une seule année. Il faudrait y ajouter une somme égale, représentant les pertes ou les frais occasionnés par le manque de production, les maladies, la misère ou les crimes qui résultent de l’ivrognerie, pour évaluer le dommage causé à la société par ce vice honteux. » (The Independent de New-York, du 8 septembre 1881). — « Sur les 25 millions de francs que le crime et le paupérisme coûtaient annuellement aux contribuables de l’état de New-York (frais de secours, hospices, prisons, etc.), 18 millions étaient imputables aux crimes et délits ou aux maladies résultant de l’ivrognerie. » (The North American Review, décembre 1888.)
  2. Dans l’état du Maine, on a été jusqu’à prohiber la vente des boissons alcooliques.