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l’Autriche et à laisser se constituer, au nord de la péninsule, au profit de Victor-Emmanuel, un état de 11 millions d’habitans. L’Italie, affranchie jusqu’à l’Adriatique, devait former une confédération sous la présidence du pape. En échange de nos sacrifices et comme prix de son agrandissement, le roi cédait à la France Nice et la Savoie. Le mariage de la princesse Clotilde avec le prince Jérôme-Napoléon consacrait une indissoluble alliance. Telles étaient les bases du pacte débattu entre Napoléon III et le ministre piémontais que le traité du 18 janvier 1859, bientôt, peu de jours après le mariage du prince Napoléon, allait solennellement sanctionner.

Les appréhensions que le second empire avaient éveillées, à son avènement, devaient se justifier. Les souverains et les ministres, qui hésitaient à le reconnaître, avaient tous prévu qu’il troublerait la paix et se jetterait dans des entreprises[1] irréfléchies, et le prince de Metternich. en 1858, avait été prophète lorsqu’on apprenant l’entrevue de Plombières, il disait : « Napoléon III a encore de belles cartes dans son jeu, mais l’empire révolutionnaire périra sur l’écueil italien. »

L’empereur n’avait pas l’habitude d’initier son cabinet à ses desseins. Cependant, à son retour de Plombières, il crut devoir faire part à son ministre des affaires étrangères des engagemens pris avec le ministre piémontais. Le comte Walewski[2], en voyant notre politique jusque-là si sage, si prudente, irrémédiablement associée aux revendications révolutionnaires de la Sardaigne, fut consterné. Avec le franc parler qu’autorisaient ses origines, — il était le fils de Napoléon Ier, — il se permit d’énergiques représentations. Il fit observer à l’empereur qu’une guerre contre l’Autriche, succédant de si près à celle d’Orient, le mettrait en contradiction avec son discours de Bordeaux ; qu’elle compromettrait la grande situation que lui valaient la sagesse et la modération dont il avait fait preuve au congrès de Paris ; que l’affranchissement de l’Italie ne répondait pas à l’intérêt français, et qu’en cas d’insuccès, nous nous exposerions à un soulèvement de l’Allemagne et peut-être même à une coalition européenne. C’était le langage de la raison et du patriotisme. Que n’a-t-il été écouté !

Piqué au vif par les objections de son ministre, l’empereur prit la plume pour les réfuter. Dans une longue lettre, tout entière écrite

  1. Voyez, dans la Revue des 1er et 15 octobre, la Reconnaissance du second empire par les cours du Nord.
  2. Il mourut subitement, en 1869, d’un anévrisme, en traversant Strasbourg, à l’hôtel de la ville de Paris. Il avait protesté contre la confiscation des biens d’Orléans, et dut quitter le ministère, lorsque l’empereur, sous l’influence de la camarilla italienne, qui dominait aux Tuileries, se prêt à la violation des stipulations de Villafranca, consacrées par la paix de Zurich.