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l’Autriche comme l’âme de toutes les coalitions, bien qu’elle eût révélé son impuissance en 1849, lors de l’insurrection hongroise et pendant la guerre d’Orient. Il croyait consolider sa prépondérance en l’affaiblissant ; il n’entendait pas fonder l’unité italienne et encore moins l’unité allemande, mais il s’imaginait que la Prusse et l’Italie, agrandies dans de sages limites, et liées par les liens de la reconnaissance, seraient les instrumens dévoués de son système et serviraient d’appoint à sa politique, soit dans les congrès, soit sur les champs de bataille. Il ne comptait ni avec la révolution, ni avec les appétits de la maison de Savoie et de la maison de Hohenzollern, qui spéculaient sur son esprit chevaleresque et sur les faiblesses de son caractère, pour le jouer et l’accabler.

Victor-Emmanuel et le roi Guillaume surent tirer un merveilleux parti des chances qui s’offrirent à eux, mais il fallut la conviction et l’énergie de leurs conseillers pour les entraîner, tant il leur en coûtait de croire qu’un souverain français se prêterait bénévolement à servir de marchepied à leurs ambitions. « Tu perds ton pays[1], disait le général de La Marmora au comte de Cavour à son retour de Plombières ; jamais l’empereur, le voudrait-il sincèrement, ne pourra tenir ce qu’il t’a promis ; il ne saurait consentir à la création d’une puissance rivale au pied des Alpes et dans la Méditerranée. — Rassure-toi, lui répondait le ministre, j’ai pris mes précautions, j’ai du noir sur du blanc, tous les atouts sont dans ma main, l’empereur ne peut plus reculer. »

M. de Bismarck, à son retour de Biarritz, se heurta contre les mêmes objections. Ses adversaires prétendaient qu’il serait joué et que la France profiterait de la guerre civile déchaînée en Allemagne pour s’emparer de la rive gauche du Rhin. Leurs appréhensions étaient plus autorisées que celles des amis du comte de Cavour, car l’empereur aimait l’Italie, tandis que la Prusse n’était qu’un atout dans sa politique ; ce qu’ils redoutaient serait arrivé, peut-être, si Napoléon III, au lieu de laisser péricliter son armée, avec une inexplicable incurie de la part d’un souverain décidé à remanier la carte de l’Europe, avait eu 400,000 hommes sous la main, au lendemain de Sadowa. Toujours est-il que, sans consulter ses ministres, Napoléon III, fort des assurances de l’empereur Alexandre, qui, à Stuttgart, lui avait promis son appui diplomatique et la concentration de 150,000 hommes sur les frontières de l’Autriche, avait fait venir le comte de Cavour à Plombières pour lui exposer son plan et lui poser ses conditions. Confiant en son étoile, et se croyant de force à diriger les événemens au gré de sa volonté, il s’était engagé à défendre le Piémont contre les attaques de

  1. La France et sa politique extérieure en 1867.