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faisait carnaval pendant le ramadan. Les esclaves et le petit monde jeûnaient et travaillaient ; on n’aurait pas souffert qu’un malheureux nègre sans aucune religion, suant depuis l’aube sous le bâton, donnât le scandale d’avaler une gorgée d’eau. Les grands de la terre se souvenaient que le Prophète a dit à propos du jeûne : « Dieu veut votre aise, il ne veut pas votre gêne. » Ils dormaient le jour et festoyaient la nuit. Les harems de Sejjid-Saïd n’avaient aucun motif d’être plus austères que le reste; les nuits du ramadan s’y passaient dans les délices.

On y rompait le jeûne avec une collation de fruits, suivie aussitôt d’un dîner copieux, qui n’était lui-même qu’une façon de prélude à une bonne chère prolongée jusqu’à l’aube. Des chanteuses venaient dire leurs airs traînans, et des récitatrices déclamer, devant un auditoire excité, qui ne cessait pas un instant de boire et de manger. A minuit, un nouveau coup de canon réveillait l’armée des cuisiniers et des marmitons, les feux se rallumaient dans la cour, et des odeurs de cuisine se répandaient dans les galeries, éclairées par des milliers de lanternes de couleur. Entre trois et quatre heures du matin, on servait le souper, ou suhur. Les nourrices éveillaient les petits enfans endormis çà et là sur les nattes et les divans, et l’on se remettait à table jusqu’à ce que le canon de l’aurore arrêtât le dernier morceau dans la main en route vers la bouche. Le harem repu et content se couchait tout habillé, selon l’usage arabe, et dormait pendant la chaleur du jour.

Malgré de tels adoucissemens, la fin du grand jeûne était attendue avec la même impatience par le riche et par le pauvre, car elle amenait les étrennes, une distribution d’aumônes et des réjouissances générales. Le ramadan se termine au moment où l’on aperçoit la nouvelle lune, moment très fugitif, puisque l’astre naissant se couche avec le soleil. Dès que le jour baissait, tous les yeux de Zanzibar cherchaient le mince croissant sur l’horizon crépusculaire. On envoyait des esclaves monter sur les plus grands cocotiers des environs. Les possesseurs de longues vues étaient assiégés d’emprunteurs. Lorsque le ramadan, qui avance chaque année de onze jours, tombait sur le ciel obstinément couvert de la saison des pluies, on se contentait sans doute de voir la lune avec les yeux de la foi, ces yeux si précieux. Quoi qu’il en soit, un dernier coup de canon saluait la libératrice, et une immense allégresse montait de la ville vers les cieux, emplissant l’air de joyeuses clameurs. Des cavaliers se dispersaient au galop pour porter aux campagnes l’annonce officielle de la bonne nouvelle. On se cherchait dans les maisons et dans les rues pour se féliciter, échanger des vœux et se pardonner.

La nuit qui suivait était très agitée dans les harems. Chaque créature