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étaient uniformément blanchies à la chaux et sans rideaux. Elles n’avaient rien des exquises douceurs de ton et des intimités de la chambre obscure d’Haouâ, la belle Mauresque aux bras aussi froids que le marbre, qu’Eugène Fromentin connut à Blidah et dont il a raconté la mort tragique dans Une Année dans le Sahel. Une lumière plus vive y éclairait des couleurs plus crues, un décor plus riche et plus barbare. Des nattes blanches y remplaçaient assez souvent les tapis, et ce sol blanc, ces murs blancs, faisaient un fond très froid. Les murailles étaient divisées en panneaux par des niches montant jusqu’au plafond. Des rayons de bois peints en vert formaient étagères dans les niches et recevaient les vases et les assiettes en porcelaine peinte, les verres et les flacons en cristal taillé et gravé, bibelots favoris des Arabes de ces contrées, qui les achètent à tout prix. Entre les étagères couraient des divans bas, au-dessus desquels étaient placées des glaces de fabrique européenne, surmontées et flanquées de pendules de toutes formes et de tous styles ; autre luxe favori de Zanzibar, où certaines maisons riches ressemblent à un magasin d’horlogerie.

La place de la maîtresse du logis est marquée par le meddé, sorte de matelas recouvert du drap d’or le plus fin et garni de coussins, dont le chevet est appuyé à la muraille. Dans un coin est le grand lit des Indes, aux incrustations curieuses, si haut perché qu’on y monte à la façon d’une amazone se mettant en selle, en posant son pied dans la main d’une esclave, qui vous enlève. Çà et là, des coffres en bois de rose, garnis de milliers de petits clous à tête de cuivre et contenant la garde-robe, les bijoux, la parfumerie. Des portes et des fenêtres grandes ouvertes, dans l’espoir d’avoir un peu d’air ; une odeur enivrante, faite de tous les parfums violens qui existent; une immense rumeur de pas et de voix, de rires et de querelles, montant des cours et des escaliers, arrivant des corridors et des galeries ; quelque chose de voyant et de tumultueux, de baroque et de pittoresque, de joyeux et d’inquiétant : tels sont ces intérieurs qu’on a peine à envier, mais qui doivent en effet demeurer inoubliables.

Les vêtemens des femmes sont d’un goût sauvage. C’est un costume à la fois étriqué et lâche, qui ne drape pas et laisse pourtant les lignes du corps indécises. Il ôte à la femme tout ce qu’il peut lui ôter de son sexe; je ne vois pas de reproche plus grave à faire à un costume.

Il se compose d’un pantalon presque collant, en soie de couleur vive, qui rejoint les anneaux de jambe par des lignes de broderies et des bouffans, et d’une chemise montante, aux manches étroites et demi-courtes, qui retombe par-dessus le pantalon et tranche sur