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révélation des confidences que le prince Gortchakof a faites à M. de Bismarck dans les derniers jours de septembre 1857 et par une lettre de Napoléon III adressée au comte Walewski, après les entretiens de Plombières, et qu’on lira tout à l’heure. C’est à Stuttgart, pour s’assurer le concours militaire et diplomatique d’Alexandre II et la neutralité sympathique de la Prusse dans l’éventualité d’une guerre avec l’Autriche, que l’empereur a promis à la Russie de la seconder en Orient par une étroite entente, et qu’il s’est désintéressé de la question des duchés de l’Elbe, la cause primordiale de la guerre de 1870. C’est pour affranchir l’Italie qu’il a sacrifié le Danemark, noire plus ancien et plus fidèle allié, aux convoitises de la Prusse, qu’il a fait sortir l’Europe de ses assises. Dix mois après les entretiens de Stuttgart, la guerre contre l’Autriche, depuis longtemps conçue dans la tête de l’empereur, était arrêtée à Plombières. On a attribué à l’habileté et à l’initiative du ministre piémontais les combinaisons qui ont présidé à la campagne de 1859, et au savoir-faire du ministre prussien celles qui ont amené la guerre de Bohême. C’est faire au génie de ces deux hommes d’état la part trop large. Leurs ambitions étaient vastes et leur sagacité était à la hauteur de leurs desseins ; mais c’est Napoléon III, dans un sentiment patriotique, avec l’espoir de rendre à la France ses anciennes délimitations, qui leur a donné le branle, c’est lui qui les a incités, encouragés à précipiter les événemens. M. de Cavour à Plombières et M. de Bismarck à Biarritz n’eurent pas grande éloquence à dépenser pour être autorisés à troubler la paix et à s’agrandir aux dépens de leurs adversaires. Ils prêchaient un converti ; ils n’eurent qu’à se laisser faire ; on leur traçait la voie. L’empereur, avant même d’être appelé au pouvoir, se sentait irrésistiblement attiré vers l’Italie, qu’il voulait affranchir, et vers la Prusse, qu’il tenait à rendre plus homogène au nord pour faire contrepoids à l’Autriche. Il conspirait dans les Romagnes, à une époque où le comte de Cavour, à peine entré dans la vie politique, était loin de voir le Piémont à la tête de l’Italie, et lorsque, en 1850, il envoyait M. de Persigny au roi Frédéric-Guillaume pour stimuler son ambition, et qu’en 1854, pendant la guerre de Crimée, dans ses entretiens avec le duc de Saxe-Cobourg et le prince de Hohenzollern, il souhaitait une Prusse mieux délimitée, avec de bonnes frontières militaires et géographiques, M. de Bismarck, plus Prussien qu’Allemand, en était encore au culte de la sainte-alliance, à la politique surannée de Frédéric-Guillaume III, qui faisait du cabinet de Berlin l’instrument docile de l’empereur Nicolas et du prince de Metternich.

Mêlant la politique de l’ancienne France avec les idées napoléoniennes, l’empereur confondait la maison de Lorraine avec celle des Habsbourg ; il n’était malheureusement pas seul à considérer