Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cour l’envahissaient insolemment. Une natte en composait le mobilier. Un peuple accroupi d’écoliers et d’écolières y ployait l’échine sous le bâton d’une triste édentée, qui distribuait la science et les coups dans un esprit de rigide égalité, sans distinction d’âge ni de rang. La même leçon servait à l’altesse et à son groom noir, et les mêmes corrections pleuvaient, administrées avec fureur par une barbare que les injonctions menaçantes du sultan talonnaient. Un seul livre était admis dans la classe : le Coran. Ce n’est pas assez de dire qu’il régnait sur l’école : il était toute l’école.

Les commençans apprenaient à lire dans le Coran. Dès qu’ils savaient épeler, on les exerçait à lire des versets en chœur, d’une voix très haute, et à les réciter de mémoire. Ils allaient ainsi jusqu’au bout du Coran et recommençaient, une fois, deux fois, trois fois, n’entendant jamais une explication, comprenant ce qu’ils pouvaient du texte sacré et redoutant d’y arrêter leur esprit, car ils savaient qu’il est « impie et défendu de réfléchir au livre saint ; l’homme doit croire avec simplicité ce qui lui est enseigné, et l’on observait sévèrement ce précepte » à Zanzibar. Le premier devoir du maître était d’empêcher ses élèves de penser à leur leçon, d’avoir une idée ou de se poser une question, afin que l’habitude de la récitation mécanique s’enracinât pour toujours dans leurs jeunes cerveaux. Ceux d’entre eux qui avaient une mémoire heureuse savaient par cœur à peu près la moitié du Coran au bout de la première année. D’autres passaient deux ou trois ans à nasiller les sourates, avant d’en retenir une quantité convenable. De loin en loin, un adolescent très hardi ou très saint osait comprendre et prétendait expliquer, mais cela était rare. « Il y en a tout au plus un sur plusieurs milliers, » dit la princesse Salmé.

On leur donnait quelques notions très légères de grammaire et d’orthographe, et on leur enseignait à compter jusqu’à mille, jamais plus : « Ce qui est au-delà, dit la sagesse musulmane, vient de Satan. » L’éducation des filles n’allait pas plus loin; il était malséant pour une femme de savoir écrire. Les garçons apprenaient l’écriture en copiant des versets du Coran, après quoi leurs études étaient terminées. On ne connaissait même pas de nom, à Bet-il-]vI, toni, la géographie et l’histoire. Quant aux sciences naturelles, la princesse Salmé fait observer que leur enseignement blesserait au plus profond de son âme l’Arabe pieux, puisqu’il ne saurait être question pour lui de lois de la nature. Soit dit en passant, il n’en a pas toujours été ainsi, et il existe encore de nos jours des Arabes pieux qui croient pouvoir apprendre la physique et l’astronomie sans manquer de respect à Allah ; mais la princesse Salmé ne peut parler que de l’état d’esprit qui règne chez son peuple