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épouse un peu noire de M. Ruete, négociant en cotonnades ou en quincaillerie, qui avait fait un mariage bizarre pendant un voyage d’affaires en Afrique. — « Je ne trouvai pas, écrit-elle avec mélancolie, les égards auxquels je croyais avoir droit. » — Elle ressentit profondément sa déchéance, et lorsqu’on lui assurait que la condition de la femme était très supérieure chez les chrétiens; que la dignité humaine était plus respectée chez une laveuse de vaisselle allemande que chez une bibi de sultan, elle songeait combien son sort eût été différent, combien glorieux et chevaleresque, si elle s’était éprise d’un des beaux esclaves qui marchaient en avant avec un fracas d’armes, quand elle sortait dans les rues de Zanzibar. Chez son peuple, la jeune fille garde en se mariant le nom, le rang, le titre qu’elle tient de ses parens, et il en résulte des aventures adorables, auxquelles la princesse Salmé rêvait sans doute quand elle se fit enlever.

Son peuple en conclut qu’il n’y a pas d’unions inégales. Ni l’opinion ni la coutume ne s’opposent chez elle à ce qu’un prince épouse une bergère. Il n’y a aucun inconvénient à cela, puisque la bergère ne devient pas princesse et reste pour tous « une telle, fille d’un tel. » En Arabie, où la force et le courage n’ont rien perdu de leur prix, il n’est pas rare qu’un chef donne sa sœur ou sa fille à un esclave qu’il a distingué pour sa valeur. Celui-ci est alors affranchi de droit, mais rien de plus. Il demeure le serviteur de sa femme et lui par le humblement. Il l’appelle « Maîtresse » ou « Altesse. » Il observe le soir de ses noces une étiquette spéciale.

Ce soir-là, l’épousée d’un rang supérieur ne se lève pas à l’entrée de l’époux. Elle reste assise sur ses talons, immobile et muette, chargée de bijoux, ses riches habits inondés de senteurs, le visage couvert d’un masque de satin noir garni de dentelles d’or et d’argent, toute semblable, dans sa pose rigide, à quelque magnifique idole fraîchement encensée, qui garde encore l’odeur des vapeurs de parfums. L’époux s’approche : elle se tait. Il doit parler le premier, et c’est l’aveu de son servage. Il lui adresse des paroles d’hommage : elle répond, mais n’ôte pas son masque ; il faut qu’il s’abaisse plus bas encore avant d’être admis à la contempler. Alors il s’incline devant sa souveraine et dépose à ses pieds son tribut. Riche, il offre un trésor. S’il est pauvre, s’il ne possède d’autres biens que son bras et son fusil, il place devant elle deux ou trois monnaies de cuivre.

La princesse Salmé est convaincue que les distances survivent au mariage, et que le respect d’un ancien esclave, devenu gendre d’un grand de la terre, est impérissable comme la majesté de sa compagne. Jamais il ne la fait souvenir que Mahomet a défini la femme : « un être qui grandit dans les ornemens et les parures