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« On s’attend à de grands changemens à Berlin ; je doute que le prince de Prusse, en montant sur le trône, puisse ou veuille mettre en application les programmes qu’il a pu concerter avec ses amis du parti constitutionnel, et rompre d’une façon radicale avec le système politique de son frère. Le parti de la croix est puissant ; il ne se réduit pas à l’entourage de Frédéric-Guillaume, il se compose de l’aristocratie presque entière, qui réclamera toujours une part privilégiée dans la direction des affaires. La camarilla qui domine en ce moment, avec l’appui de la reine Elisabeth, ne représente que les exagérations de ce parti ; elle disparaîtra. Sera-t-elle remplacée par les chefs du parti de Gotha, dont le prince s’entourait dans ces dernières années ? Il est permis d’en douter. Je crois plutôt qu’arrivé au pouvoir, il s’appuiera de préférence sur les élémens militaires et bureaucratiques, qui forment la clé de voûte de la monarchie prussienne. Le cabinet actuel sera provisoirement maintenu, car, arrêtés par un sentiment de piété, les rois de Prusse n’ont jamais, dès leur avènement, rompu avec les conseillers de leurs prédécesseurs. Le prince Guillaume n’a malheureusement ni goût ni estime pour M. de Manteuffel ; ils ont eu souvent, pendant la guerre de Crimée, des altercations ; il est à craindre qu’il ne se souvienne de ces froissemens et ne le congédie dès que sa politique extérieure sera bien assise.

« L’influence de la Russie, si longtemps prépondérante à Berlin, fera-t-elle place à l’influence exclusive de l’Angleterre ? Ou bien, au lieu de faire de la politique de sentiment comme son frère, le prince ne consultera-t-il que les intérêts permanens de son pays ? On croit généralement qu’il ne se laissera entraîner ni d’un côté ni de l’autre ; il n’est pas hostile à la Russie, bien qu’il l’ait combattue de son influence pendant la guerre d’Orient. — De toutes les grandes puissances, c’est l’Autriche qui se ressentira le plus de la disparition de Frédéric-Guillaume IV. Elle avait à la cour de Potsdam un auxiliaire puissant, c’était la reine Elisabeth, qui porte à François-Joseph, le fils de sa sœur, l’archiduchesse Sophie, une tendresse maternelle. La mort du roi rompra les rapports journaliers, intimes entre les deux cours, pour faire place à leurs rivalités, si marquées depuis Olmutz. Le rôle de la princesse de Prusse ne sera pas sans importance ; elle a de l’esprit et s’intéresse à la politique. Elle ne cache pas volontiers ses sentimens ; on sait qu’ils ne sont pas bienveillans pour la Russie, et que ses préférences se reportent sur l’Angleterre. Sa grande et vieille affection pour