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le ministre du Danemark à Francfort, est venu faire à Stuttgart, pendant l’entrevue, pour solliciter l’intervention de la France et de la Russie. Cette démarche, bien naturelle et bien légitime, n’a pas été approuvée, on l’a trouvée déplacée, inopportune, car les Allemands n’admettent pas que le roi de Danemark, menacé dans sa sécurité, ait le droit d’implorer l’appui des grandes puissances. On est rassuré maintenant qu’on croit savoir qu’il est parti d’ici, déçu et mécontent ; on prétend que vous lui auriez dit que l’affaire des duchés de l’Elbe était une question purement germanique et que la France n’interviendrait que lorsqu’elle aurait pris un caractère européen. Si telle a été la réponse de votre Excellence, on conçoit que M. de Bülow ait quitté Stuttgart désenchanté.

« Je ne sais si les agens russes ont reçu de leur cour des instructions identiques à celles que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, mais je constate que le langage du comte de Benckendorfest entièrement conforme à celui que vous m’avez confidentiellement prescrit. Dans les cercles de la princesse royale, on parle, avec une désinvolture qui me surprend, « des caprices de l’impératrice Marie. » On regrette que, pour la décider à venir à Stuttgart, il ait fallu la croix et la bannière. Je vous cite ces propos frondeurs pour ce qu’ils valent. Qui sait si les caprices de l’impératrice Marie ne sont pas provoqués par des peines intimes, de la nature la plus délicate, plus encore que par ses préventions contre la France !

« Un Français a eu l’idée singulière, et je dirais hardie, de s’adresser au tsar pour lui demander son appui auprès de l’empereur Napoléon. Le général de Benckendorf m’a remis sa requête, vous la trouverez sous ce pli. L’empereur aurait beaucoup ri de cette étrange démarche : « Je voudrais bien, a-t-il dit, avoir le crédit qu’on me prête. »

« La santé du roi de Prusse est la grosse préoccupation du moment. Il y a trois jours, le comte de Seckendorf a reçu du baron Manteuffel une dépêche télégraphique fort alarmante ; elle se terminait par ces mots : « Joignez vos prières aux nôtres, pour la conservation des jours de Sa Majesté. » Depuis, les nouvelles que le roi de Wurtemberg et la reine de Hollande reçoivent plusieurs fois par jour, directement de Sans-Souci, ont pris un caractère un peu moins grave. Mais on a peu d’espoir ; on croit généralement à un ramollissement du cerveau. « Il se peut, médisait M. de Hügel ce matin, que le roi sorte encore une fois de cette crise, mais politiquement il n’en est pas moins mort dès à présent[1].

  1. J’ai cru devoir reproduire la fin de mon rapport, bien qu’il s’écartât de mon sujet, car ses appréciations sur le nouveau règne qui s’annonçait alors en Prusse ne sont pas sans analogie avec celles que suggérait récemment l’avènement de Frédéric III.