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les mystères de la nature humaine plus profondément qu’il ne pourra jamais le faire avec le seul secours de la psychologie même la plus subtile. « Malgré ta science, dit-il à Home, ne dédaigne pas les pensées plus communes du pâtre ; que ta muse délicate soutienne la foi rustique ; ce sont là des thèmes d’un effet simple et sûr qui ajoutent de nouvelles conquêtes au royaume sans limites de la muse, et lancent avec une double force l’essor de son inspiration dominatrice des cœurs. » Puis, passant en revue successivement chacune de ces superstitions écossaises, il montre la force qu’elles ont prêtée aux grands poètes du passé. « Combien de fois ne t’a-t-il pas été donné de les entendre, ces chants étranges parvenus jusqu’à nous, enseignés par le père à son fils attentif, ces chants dont la puissance avait charmé l’oreille d’un Spenser ?.. Tu n’as pas à rougir d’occuper ton noble esprit, riche de plus beaux trésors, à ces thèmes fabuleux, car non-seulement ils touchent les cœurs du village, mais dans les vieux temps, ils occupaient les pages de l’histoire. Shakspeare lui-même, le front ceint de toutes les couronnes, dans ses heures de rêverie, donne l’essor à sa brillante imagination pour ces pays féeriques… La muse héroïque employa l’art de son Tasse à des scènes comme celles-ci, qui, osant s’écarter de la sobre vérité restent cependant fidèles à la nature et évoquent aux yeux de l’imagination de nouveaux sujets de plaisir… Heureux poète dont l’esprit exempt de doutes croyait aux merveilles magiques qu’il chantait ! » Eh ! mais il me semble que voilà bien dans toute son extension le programme poétique d’où sont sortis Christabel et le Chant du vieux marin, la Biche blanche de Rylstone et les poèmes de Scott. Si nous ajoutons maintenant que les Églogues orientales sont en quelque sorte une indication de ce genre de poèmes exotiques que Southey, Moore et autres cultiveront avec des succès divers ; que, dans l’Ode au soir, il a donné le premier modèle d’une nouvelle manière de peindre la nature, qui est la seule que nous acceptions aujourd’hui, c’est-à-dire non plus en s’arrêtant aux surfaces, mais en atteignant les choses dans leur essence par pénétration et intimité de sentimens, et qu’enfin dans les Odes nous nous heurtons à chaque instant à des nouveautés d’images, de tours et de diction où se trahit l’inquiétude d’une poésie encore à naître, on comprendra comment Collins a réellement mérité l’honneur d’être regardé comme la première molécule du romantisme moderne. Ce n’est pas une opinion critique que nous énonçons, c’est un fait certain ; car, avant cette molécule, il n’y a rien, et après elle, au contraire, les phénomènes de germination et d’embryogénie poétique vont se succéder avec logique, régularité, croissance continue.

Ce qui empêche qu’on remarque autant qu’on le devrait cette