Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont pu concerter. Jusqu’à présent, elle se débat dans d’infructueuses conjectures ; elle croit savoir cependant que le prince Gortchakof aurait dit que, sur la question des principautés danubiennes, la Russie était entièrement d’accord avec la France, et que son maître arriverait à Weimar les mains liées. Le ministre des affaires étrangères, le baron de Hügel, est peu disposé à ajouter foi à ces propos. N’ayant été l’objet d’aucune confidence, il s’imagine que rien d’important n’a été résolu. Il se montre tout aussi sceptique au sujet des versions multiples qui circulent sur les entretiens de Weimar. Il n’admet pas que les deux souverains, dans une aussi courte entrevue, aient eu ni le loisir ni l’intention de débattre et de résoudre des questions politiques. « Il se peut, dit-il, que le désaccord qui règne entre les deux cabinets sur la réorganisation des provinces moldo-valaques ait inspiré des regrets à l’empereur François-Joseph, car c’est pour lui une question brûlante ; mais l’empereur Alexandre, peu enclin aux épanchemens, se sera borné à le payer de bonnes paroles. » —M. de Hügel, longtemps accrédité par son roi à Vienne, est un optimiste ; élevé à l’école du prince de Metternich, il ramène tout à des formules, il interprète les événemens au gré de ses sentimens ou de ses intérêts. Il reconnaît cependant que le but principal de l’entrevue de Weimar est atteint ; les préventions seraient tombées et les rapports personnels rétablis sur leur ancien pied. Les deux empereurs s’en seraient expliqués avec une vive satisfaction, l’un à son passage à Berlin et le second en traversant Dresde. La joie des partisans de l’alliance russe en Allemagne serait complète si ce premier résultat devait en amener un second, plus significatif : la chute du comte de Buol, qu’ils trament depuis si longtemps sans y réussir. Mais ils craignent que la condescendance de l’empereur François-Joseph n’aille pas jusqu’à sacrifier son premier conseiller, de but en blanc, à leurs ressentimens. Ils espèrent néanmoins que, dans un temps donné, on ne refusera pas à la Russie ce dernier gage, indispensable à une franche réconciliation. Déjà le comte de Buol, à l’exemple des ministres qui sentent le pouvoir leur échapper, se plaindrait de sa santé et du fardeau des affaires. On se plaît à en conclure que sa chute n’est plus qu’une affaire de temps.

« On n’est pas resté indifférent à la démarche que M. de Bülow[1],

  1. M. de Bülow a fait les évolutions diplomatiques les plus hardies ; mais il était si rond, si sympathique, si plein de tact, que personne ne les lui a reprochées. Il a été tour à tour sujet danois, sujet mecklembourgeois et sujet prussien. Je l’ai connu à Francfort, en 1850, défendant, au nom du roi de Danemark, qui l’avait nommé son envoyé auprès de la diète, la cause des duchés de l’Elbe contre les convoitises allemandes ; je l’ai retrouvé, lorsqu’en 1868 je fus nommé ministre auprès de la cour de Mechleinbourg-Strelitz, premier conseiller du grand-duc, et il est mort, il y a peu d’années, à Berlin, sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères, sous les ordres du prince de Bismarck, jouissant de son entière confiance et regretté de tous celui qui ont eu des relations avec lui.