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a un peu plus d’un siècle, un ancêtre inconscient, et ils y trouveront un modèle du style qu’ils cherchent avec tant de tâtonnemens; qu’ils fassent seulement réflexion que l’inventeur de ce style ne s’en est servi qu’une fois et pour un seul des spectacles de la nature.

Je cherche quelles sont dans les différens arts les œuvres où ce même sujet ait été traité avec un sentiment analogue ou qui m’aient donné une sensation de même nature, et je n’en trouve que trois. Au musée de La Haye, un tableau d’Isaac Van Ostade, le Soir devant une chaumière, merveilleux de clair-obscur et où le plaisir du repos a été rendu avec une fidélité sympathique, mais qui manque absolument de ces féeries poétiques du soir dont l’ode de Collins est comme pénétrée. Dans l’œuvre de notre paysagiste Corot, qui connut, au contraire, ces féeries et sut les traduire avec autant d’adresse que de sentiment par son faire incorrect avec intelligence, un petit tableau portant ce titre le Soir, exposé au Salon de 1846 ; l’impression m’en reste encore aussi vive qu’au jour de cette lointaine époque où je l’ai ressentie. Enfin, le Soir de Lamartine. Ah ! certes, il y a là une élévation de rêverie, un vol de sentiment qui ne se rencontrent pas chez Collins ; mais pour les raisons que j’ai dites, Collins l’emporte pour le talent de peindre. Les deux œuvres peuvent d’ailleurs difficilement se comparer, ne se rapportant pas tout à fait à la même heure ; ce que Collins a peint, c’est surtout le crépuscule, tandis que la rêverie de Lamartine s’exhale en pleine nuit, sous la clarté de la lune. Je n’ai souvenir d’aucune œuvre musicale qui traduise aussi pleinement et aussi simplement cette note; mais s’il y en a quelqu’une, c’est très probablement dans Mendelssohn, et surtout dans ses romances sans paroles, qu’il faut la chercher.

Je n’ai pas tout dit sur les allégories de Collins. A leurs physionomies de nymphes et de modestes divinités, elles joignent une sveltesse et une légèreté délicieuses. On ne les voit jamais qu’en mouvement, et leur passage est toujours rapide ; elles touchent le sol juste le temps nécessaire pour montrer leurs élégantes figures et s’envoler aussitôt sur un fond de douce lumière. Ces qualités de sveltesse et de légèreté ont vivement frappé quelques critiques, qui, se méprenant, je le crois, sur leur nature, ont parlé à leur sujet de préraphaélitisme et d’Angelico de Fiésole. Le sentiment qui a dicté l’opinion de ces critiques est fort juste; le choix des noms cites l’est, à mon avis, beaucoup moins. Je le sais bien, ce qui a fait choisir ces noms comme termes de comparaison, c’est la chasteté et la pureté irréprochables de ces allégories; mais pour si chastes et pures qu’elles soient, elles n’ont rien de mystique : ce sont de vertueuses, non de pieuses allégories. C’est plus loin, bien plus loin, qu’il faut descendre pour trouver leur vraie