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sorte adoucie par la demi-tolérance que lui laissa la nature de converser encore comme autrefois avec ses amis des choses qui étaient chères à son imagination. Enfin, en 1759, arriva l’heure tardive du repos. L’enfant n’avait pas vécu.

Il fut enterré dans une des églises de Chichester. Ses pauvres os y dormirent longtemps sans honneur; mais, trente ans après, en 1789, son nom ayant fini par émerger de l’ombre où il était resté jusqu’alors enseveli, un lettré de sa ville natale eut la pieuse pensée de lui faire ériger un monument par souscription. L’idée réussit et le monument fut exécuté. Le sculpteur choisi fut Flaxman, peu apprécié, lui aussi, de ses contemporains pendant sa vie, et dont la destinée ne fut pas sans quelque rapport à cet égard avec celle de Collins. L’épitaphe fut écrite par un poète du temps, du nom d’Hayley, imitateur attardé de Pope et auteur d’un badinage héroï-comique en six chants, intitulé : the Triumphs of temper, un titre vraiment de bon conseil. Comme cette épitaphe est très suffisamment éloquente, qu’elle peint avec assez de vérité le caractère et le génie de Collins, et qu’enfin elle exprime avec une louable convenance les regrets qu’il est d’usage que la postérité doit éprouver pour les infortunes dont la responsabilité ne lui incombe pas, nous la donnerons pour conclusion à cette esquisse biographique :

« Vous qui révérez les mérites des morts, qui tenez l’infortune pour sacrée, le génie pour précieux, regardez cette tombe où Collins, nom malheureux, sollicite à double titre votre sympathie. Quoiqu’il eût reçu de la nature et acquis par la science le feu de l’imagination et la profondeur de la pensée, condamné par un destin sévère à une extrême pénurie, il passa dans les tortures de la folie le rêve fiévreux de sa vie, et les rayons de son génie ne servirent qu’à lui montrer l’horreur où il était enveloppé et à porter son malheur au comble. Murs qui lui renvoyâtes l’écho de ses gémissemens frénétiques, conservez les justes souvenirs inscrits sur cette pierre. Des hommes qui lui étaient étrangers, enthousiastes de ses chants, ont élevé à ses talens l’hommage affectueux de cette tombe. Elles ne réclamaient pas moins les cendres d’un poète dont la lyre sut rendre les plus tendres notes de la pitié, qui joignit une foi pure à de vigoureux talens poétiques, qui, dans les heures lucides où revivait sa raison, ne chercha de repos pour son esprit troublé que dans un seul livre, le livre de Dieu, qu’il estimait droitement le meilleur. »


II.

Ce fut une nature Imaginative et rêveuse dont l’originalité ne put se développer en toute liberté, faute d’être venue au monde dans