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Rien ne dit mieux ses ambitions passagères et changeantes, ses désirs irrésolus, ses aspirations sans suite. Nous avons là la confession involontaire de cette morbide mobilité que nous avons indiquée comme la source véritable de ses malheurs. Ce n’est pas un seul genre poétique qui l’a tenté, ce sont tous les genres poétiques dont il a envié les couronnes. Comme l’observation n’a pas été faite, ne craignons pas d’insister. Deux odes à la pitié et à la terreur ouvrent le volume. Vous croyez peut-être qu’il les a écrites dans un dessein purement esthétique? Eh! non, c’est qu’au moment où il les écrivit il aspirait à la gloire du poète dramatique, et il nous le dit en termes auxquels il n’y a pas à se méprendre. « Qu’il me soit permis, s’écrie-t-il, après la description d’un temple que son imagination se propose d’élever à la pitié, qu’il me soit permis de m’y retirer souvent pendant le jour, et d’y habiter avec toi l’âme perdue dans des rêves de passion ; qu’il me soit permis d’y dépenser les heures mélancoliques de la lampe nocturne, jusqu’à ce qu’enfin, ô vierge ! tu puisses te réjouir d’entendre encore une lyre britannique. » Dans sa conclusion de l’ode à la terreur, ce n’est rien moins que la gloire de Shakspeare à laquelle il prétend : « Apprends-moi seulement une fois à sentir comme lui, décrète que sa couronne de cyprès sera ma récompense, et alors, ô terreur ! j’habiterai avec toi. » L’ambition est formelle, mais tournez le feuillet et elle a changé de nom et de caractère. Voici une ode à la simplicité, où cette plus essentielle des vertus littéraires est célébrée avec une élégance chaste vraiment digne d’elle. Cette fois, c’est vers la poésie pastorale que s’est porté le feu de paille de son désir : « Que d’autres aspirent à de puissantes tâches ; moi, je cherche seulement à trouver ta vallée tempérée où mon chalumeau pourrait résonner souvent pour les jeunes filles et les bergers qui m’entoureraient et où je pourrais apprendre mon chant à tous tes fils. » Plus loin se rencontre une ode sur les mœurs où nous voyons qu’il a envié la gloire de l’humoriste et du romancier, celle de Cervantes et de Le Sage, qui venait justement de mourir et qu’il nomme avec enthousiasme. Il n’y a qu’une gloire à laquelle il n’ose aspirer, parce qu’elle lui semble trop haut pour que le vol même du désir puisse l’approcher, celle de Milton, mais ce regret modeste de son impuissance est encore un aveu d’ambition. Aucun de ces rêves ne devait se réaliser; il est heureux cependant qu’il les ait eus, car le plus clair de sa gloire littéraire est dans les beautés lyriques qu’il a rencontrées en cherchant à les exprimer.

Ces Odes sont biographiques encore en un autre sens. Elles nous révèlent les opinions ou plutôt les tendances politiques de l’auteur, et nous laissent apercevoir quelque chose de l’état des esprits en Angleterre au moment où elles parurent. Collins était whig, ou