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ce désordre, rien qui indique un attrait pour le vice, pas une image qui ne soit chaste, pas une idée qui ne soit pure, pas une expression qui ne soit suavement pudique. S’il parle des choses de l’amour, ce qui n’a été que rarement, c’est avec une candeur charmante, révélatrice d’une âme innocente, où le plaisir n’a laissé ni remords ni souillures. Collins, — et c’est une de ses originalités les plus marquées, — eut à un degré remarquable le sentiment et le goût de la vertu. Il l’aima comme une chose propre, blanche et de bonne odeur, ce qu’elle est en effet, et il n’en a jamais parlé qu’avec un respect attendri ; qu’il prononce seulement ce nom, et sa page entière en est illuminée comme par magie. Aussi avons-nous peine à croire que ces désordres aient jamais été bien profonds. La vérité sur ce sujet délicat a été très probablement dite par Samuel Johnson. « Ses mœurs étaient pures et ses opinions pieuses; mais avec une pauvreté prolongée (il y a ici de la part de Johnson une légère exagération) et de longues habitudes de dissipation, on ne peut attendre qu’un caractère quelconque reste toujours exactement le même. Que cet homme, sage et vertueux comme il l’était, ait toujours passé sans s’y laisser prendre à travers les traquenards de la vie, il y aurait à l’affirmer témérité et prévention ; mais on peut dire qu’il conserva au moins sans souillure la source de l’action, que ses principes ne furent jamais ébranlés, que la distinction du bien et du mal ne fut jamais oblitérée en lui, que ses fautes ne furent jamais de malignité ou de parti-pris, mais eurent toujours leur origine dans quelque pression inattendue des circonstances, ou quelque tentation occasionnelle. » Tenons-nous à ce jugement, que corrobore parfaitement la lecture de ses poésies, et disons, en variant quelque peu à son sujet un mot profond de Chamfort, qu’il était de ceux dont les mœurs peuvent être dissolues sans que le cœur soit atteint.

Nous venons de citer ses œuvres comme document biographique. C’est qu’en effet, à les bien lire, elles constituent le meilleur document que nous ayons sur lui, car à défaut de faits qu’elles ne peuvent pas donner, elles nous dévoilent son âme et le secret de ses malheurs. Voici, par exemple, son petit volume d’Odes, publié pendant ces années de misère, en 1746. Ce sont des odes à tendances allégoriques, adressées à ces êtres de raison qui s’appellent pitié, terreur, simplicité, paix, liberté, etc. Il peut sembler étrange que des allégories de cette sorte aient un caractère biographique ; il en est pourtant ainsi. On s’aperçoit très vite que ces divers êtres abstraits ont eu pour lui, tour à tour et pour quelques instans, la valeur de petites idoles, et que ces odes ne sont que des prières discrètes par lesquelles il leur demande la puissance et la constance nécessaires pour exécuter les plans multiples de son incertaine imagination.