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derniers nés sont-ils si souvent remarquables par les qualités de finesse et de ruse pour lesquelles Jacob et Poucet sont restés célèbres ?

Comme les impressions de l’enfance sont de toutes les plus durables et les plus fécondes, le lieu de naissance est toujours pour tout homme d’une importance capitale, puisque ces impressions sont déterminées en partie par le spectacle du milieu où l’âme fait l’apprentissage de la vie. Collins passa toute son enfance dans cette ville de Chichester où il était né, et cette circonstance ne dut pas peu contribuer à lui donner cette imagination rêveusement rétrospective et cette sympathie délicieusement vague pour les choses du passé qui le distinguent. Les vieilles localités sont, en effet, de deux sortes. Les unes, fières de quelque souvenir exceptionnellement illustre ou de quelque période plus particulièrement glorieuse, ramènent si obstinément la pensée vers un point précis du temps que la brume des âges antérieurs et postérieurs en est comme dissipée, et que la vision de cette heure privilégiée surgit devant nous avec une telle netteté que nous en devenons, pour ainsi dire, les contemporains. À cette obsession du souvenir, le cœur peut gagner en patriotisme local et l’imagination en puissance, mais certainement la rêverie n’y trouvera pas au même degré ce sentiment des choses fuyantes, du flottant indéterminé, du noyé, du lointain, qui est l’élément préféré où elle se meut et respire. Les autres localités, au contraire, ne se recommandent par rien de mémorable et d’éclatant ; elles sont vieilles, et cela leur suffit ; leur vétusté leur tient lieu de tout. C’est dans celles-là qu’est vraiment le charme du passé, précisément parce qu’elles n’ont rien qui contraigne l’imagination et mette en fuite la rêverie; c’est en celles-là qu’on aime l’antiquité pour elle-même, qu’on la sent en elle-même, et Chichester est de ce nombre. Son passé plonge jusqu’à la plus lointaine période saxonne; mais les siècles, en s’accumulant sur elle, l’ont faite vénérable plutôt qu’illustre, et lui ont donné la douceur de ce qui n’est plus, plutôt que l’orgueil et le regret de ce qui fut. C’est cette douceur de l’autrefois que respira William Collins dans sa jeunesse; il l’a faite passer dans ses poésies, où elle s’associe de la manière la plus naturelle à la mélancolie qui lui était propre.

J’ai dit que les circonstances de la famille ne lui avaient pas été défavorables. Son père, en effet, quoique simple chapelier, était cependant un personnage de quelque importance dans la ville de Chichester, en ayant été maire plusieurs fois. Un certain M. Ragsdale, qui, quelque vingt-cinq ans après la mort du poète, rassembla ses souvenirs pour une édition projetée, nous a laissé