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et le quitta (1649) sans rompre ; il a recueilli certains traits du Grand Condé qu’il retrace avec une justesse affectueuse, parfois même avec éloquence. Écrivains de même famille et de rang distingué, Saint-Evremond et Bussy se perdent par la plume ; l’un expie par un long exil la lettre sur la paix des Pyrénées, et le cantique de Deodatus confine l’autre dans le manoir où il termina sa vieillesse ennuyée[1].

Il faut encore rappeler ici les noms de Rivière et de Bourdelot. Le premier exerça un moment la charge de Tourville sans hériter de l’indépendance, du dévoûment et de la dignité de ce galant homme[2]. Agent utile, correspondant agréable, vaudevilliste cynique, athée de profession, complaisant intéressé, il eut un moment la faveur, jamais la confiance, et disparut durant la guerre civile[3]. Avec au moins autant d’esprit, plus de portée, plus de fond, Michon, dit Bourdelot, n’avait pas un caractère beaucoup plus respectable[4] : « grand valet d’apothicaire et menteur effroyable, » dit Guy-Patin (n’oublions pas qu’il s’agit d’un « circulateur »), au demeurant habile praticien, versé dans plusieurs sciences, novateur, un peu charlatan, gonflé de vanité, traînant derrière son carrosse estafiers et laquais, courant après les abbayes, les évêchés même, sans croire en Dieu ; amusant indifféremment ceux qu’il flatte par une bouffonnerie ou par un sacrilège[5] ; aujourd’hui

  1. Bussy avait été autorisé à sortir de son château dans les derniers temps de sa vie et fut même reçu par le Roi, mais sans revenir à la cour. Né en 1618, lieutenant-général en 1654, mort en 1693. — Il avait commencé une vie du Grand Condé. Le manuscrit autographe de l’introduction existe dans nos archives.
  2. A la suite de quelque dissentiment, Tourville quitta son office de premier gentilhomme en 1647 et mourut peu après.
  3. Le duc d’Anguien avait remarqué le chevalier de Rivière à Rocroy et l’avait tiré d’affaire après un duel ; ce fut l’origine de leurs rapports. (Voir t. IV, p. 297, 497.)
  4. Lorsque Guénaud, retenu à Paris par sa clientèle, cessa d’accompagner M. le Prince dans ses voyages, il désigna pour le remplacer un de ses élèves, le jeune Michon, qui avait pris le nom d’un oncle, médecin assez connu. Bourdelot débuta par la bagarre de Fontarabie, puis fut appelé auprès de M. le Duc pour suppléer à l’insuffisance médicale de Montreuil (voir t. III. p. 318), qu’il finit par remplacer définitivement lorsque celui-ci mourut en Catalogne (août 1647). — La thérapeutique de Bourdelot ne laisse pas d’étonner un peu. Tour à tour apôtre ou proscripteur du tabac, il s’en sert pour guérir les rhumes du Grand Condé (Ballard, Discours du tabac), ou lui attribue les accès de folie de Saint-Ibal. Il condamne « l’usage de l’herbe-thé » (A. G. décembre 1644), et purge Mme de Sévigné avec des melons et de la glace (lettre de Sévigné, juillet 1677) ; etc. — Correspondant habituel de Balzac, il eut de bruyantes querelles avec le savant Meibomius. — né à Sens en 1610, il mourut à Paris le 9 février 1685, empoisonné par l’imprudence de son valet, qui avait mêlé une forte dose d’opium dans sa conserve de roses.
  5. Un jour, il s’enferma avec le prince de Condé et la Palatine pour brûler devant eux un morceau de la vraie Croix. Le résultat négatif de cette expérience aurait frappé la Palatine et amené sa conversion.