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Basile Fouquet (l’abbé)[1], Crofts, Digby[2], recevra de toute main argent, bijoux, domaines[3], « l’avarice en personne. » Ambitieuse, elle rêve d’être reine et finit par épouser un souverain ; sa beauté, survivant aux années, attire les yeux de Louis XIV enfant ; elle faillit s’unir à Charles II, et mourra duchesse de Mecklembourg[4].

Les enfans du décapité Boutteville reprenaient dans le monde le rang que leur assignait le nom de Montmorency. Voici Isabelle brillamment établie ; Marie-Louise était déjà marquise de Valençay ; restait le fils posthume, que le départ de Mme de Châtillon allait laisser bien seul et presque nu. M. le Duc s’en chargea ; c’était œuvre méritoire : né au lendemain de la mort tragique de son père, si chétif qu’on lui refusait son âge (dix-huit ans), franchement contrefait, ce jeune homme n’avait guère pour lui que son esprit malin et caustique. Patience ! « Le petit François » est le futur « tapissier de Notre-Dame, » — « le méchant petit bossu que le prince d’Orange ne vit jamais par derrière[5] ! » Le maréchal de Luxembourg continuera Condé, qui le chérira, l’aimera comme son œuvre, se dévouera pour le sauver, lui tendra la main quand tous le quitteront ; car il y aura des hauts et des bas, des grandeurs et des misères dans la vie de ce capitaine ; il s’en faudra de bien

  1. Frère aîné du surintendant Nicolas. Il a eu longtemps toute la police secrète dans les mains et en a cruellement abusé. Mort en 1680.
  2. Ces deux Anglais, proscrits comme royalistes actifs, passèrent plusieurs années en France et jouèrent un certain rôle dans les affaires du temps, y compris l’histoire amoureuse. — William Crofts, qu’on appelait habituellement Craft ou « Craff le milord, » capitaine des gardes de la reine Henriette-Marie, ambassadeur de Charles II en Pologne, fut créé pair d’Angleterre et mourut sans enfans (1677). C’était « un homme de paix et de plaisir. » — Quant à George Digby, second comte de Bristol, homme d’action, « fier et plein d’ambition, » il avait été lieutenant-général du roi Charles Ier, et s’était vu dépouiller de toute sa fortune. Il prit du service en France, puis rentra en Angleterre avec son roi et y mourut en 1676, âgé de soixante-quatre ans.
  3. Entre autres les terre et château de Merlou (Mello). Ce domaine ne fut pas aliéné, comme nous l’avons dit (III, 447), mais bien donné à Mme de Châtillon, en usufruit d’abord par le testament de Madame la Princesse (1650), et peu après définitivement en nue propriété par le Grand Condé.
  4. Voir t. II, p. 285, t. III. p. 186, 455, 458, et t. IV, p. 157 et 414. — Isabelle-Angélique de Montmorency, devenue veuve (1649), se remaria en 1664 et n’eut pas d’enfans. — Son second époux, le duc Christian de Mecklembourg, eut pour successeur son frère, dont est issu le grand-duc aujourd’hui régnant à Schwerin. — Isabelle mourut en 1695, peu de jours après son illustre frère, le maréchal de Luxembourg. Sa sœur aînée, marquise de Valençay, était morte en 1684.
  5. « Je ne pourrai donc jamais battre ce méchant petit bossu ! » disait un jour Guillaume. Le mot fut rapporté à Luxembourg : « Comment sait-il que je suis bossu ? Il ne m’a jamais vu par derrière. »