Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans se lier, croyait-il, à aucune puissance. Mazarin en jugea autrement : Mlle de Nevers était surtout Française ; en la faisant monter sur le trône de Pologne, on assurait de ce côté l’influence de la France ; c’était une flèche dans le flanc de l’Autriche. C’était aussi une combinaison favorable à la politique italienne, ecclésiastique et personnelle du cardinal[1]. Enfin, il ne déplaisait pas à Mazarin de voir fermer l’hôtel de Nevers. Bien que les réunions y fussent éclectiques et surtout littéraires, les Importans y donnaient le ton. Sans doute les anciennes habitudes sociales n’admettaient pas les classifications un peu absolues que d’autres temps ont adoptées : tout en accueillant les mécontens, tout en ayant La Châtre, d’Aubijoux, et autres de mêmes tendances, pour ses correspondans habituels, Marie de Gonzague continuait de témoigner une déférence respectueuse à la Régente, conservait ses bons rapports avec Madame la Princesse, prenait hautement parti pour elle dans les querelles de la cour, restait enfin en coquetterie avec le duc d’Anguien et le maréchal de Gramont, alors dévoués au ministre. Mais ceux-ci seraient-ils assez forts pour la maintenir dans le droit chemin, et ne couraient-ils pas plutôt risque d’être entraînés ? Elle avait donné des soucis à Richelieu, qui, l’ayant admirée, se montra plein de ménagemens. N’était-elle pas pour beaucoup dans les folles entreprises de Cinq-Mars ? On l’affirmait sans rien ajouter de « fâcheux » pour sa réputation ; mais certains chroniqueurs jugèrent avec moins d’indulgence ses relations avec le duc d’Anguien[2]. Quelles avaient été les limites de leur intimité ? Quel pouvoir exercerait-elle sur lui ? Jusqu’où irait l’alliance de ces deux courages ? Tout bien pesé, Mazarin, après avoir fait ses stipulations pour la France, pour son frère et pour lui, approuva le projet de mariage et en pressa la

  1. Sur un point surtout : l’élévation de son frère à la dignité de cardinal. Michel Mazarin avait de nombreux concurrens ; il finit par remporter (1647), grâce aux efforts de nos premiers diplomates, appuyés de beaucoup de promesses et de quelques largesses, grâce surtout à la « nomination de Pologne. » La renonciation (au chapeau) de Jean-Casimir, frère du roi Wladislas, fut une des conditions du mariage de Marie de Gonzague.
  2. On a été jusqu’à leur attribuer une fille naturelle, qui serait, elle aussi, montée plus tard sur le trône des Jagellons. Ce qui a donné lieu à ce conte, c’est l’intérêt que Marie de Gonzague portait à une jeune fille qui l’avait suivie en Pologne, Marie de Lagrange ; mais cette dernière était très régulièrement issue du marquis d’Arquien et de Françoise de La Chastre. Grâce à l’appui de sa protectrice, elle épousa le prince Sacrowski, et en secondes noces le roi Sobieski.