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dédaigneuse ; les soupirans sont écartés. Dissimulant avec art un certain embarras d’affaires, établie royalement dans le magnifique hôtel de Nevers[1], elle tenait là, en face du Louvre, une manière de cour. Le salon de la marquise de Rambouillet était sur son déclin ; celui de Madame la Princesse était rarement ouvert ; Mme de Longueville partait pour Munster ; le « cabinet de la princesse Marie » devint le rendez-vous de la société polie et des beaux esprits. M. le Duc s’y plaisait. Il trouvait là, non pas la douceur du contraste que lui offrait l’ame simple et pure de Marthe du Vigean, mais une nature vaillante qui attirait son esprit sans avoir prise sur son cœur ; âme inquiète, à la fois crédule et hardie, accordant à l’astrologie judiciaire la foi qu’elle refusa longtemps aux dogmes chrétiens, puis finissant par se soumettre à la sévère direction de l’abbé de Saint-Cyran et des solitaires de Port-Royal[2], tout en continuant de consulter les astres. Une recherche inattendue ouvrit un nouvel horizon à Mlle de Nevers.

On voulait remarier le roi de Pologne Wladislas, qui était veuf, sans enfans, avec un frère dans les ordres ; le portrait de Marie de Gonzague fut placé sous ses yeux ; quoique vieux, malade et usé, il s’enflamma[3] ; l’union lui convenait ; il y trouvait la naissance,

  1. L’hôtel de Nevers élevait sa façade majestueuse entre la tour de Nesle et le Pont-Neuf, à peu près sur l’emplacement actuel de la Monnaie. Il prit successivement les noms de Guénégaud et de Conti.
  2. Le maréchal de Gramont ne se souciait guère de la suivre jusque-là et refusait plaisamment de se mettre sous la discipline de M. Singlin (2 juillet 1644. A. C). Elle eut à se défaire de son jansénisme, au moins à le dissimuler lorsqu’elle arriva en Pologne, où les Jésuites étaient fort puissans. Il est constamment question d’astrologie dans la correspondance de cette princesse, postérieurement même à sa conversion, qui date de la mort de Saint-Cyran (1643). Elle avait rassemblé de nombreux documens sur le « grand œuvre, » qui sont conservés aux Archives de Condé.
  3. « Dans la chambre de Sa Majesté, près du lit, j’ai vu un portrait de Votre Altesse, mais moins beau que celui envoyé de Paris par le résident ; Sa Majesté porte ce dernier sur lui et le montre aux princes et sénateurs, qui se flattent de n’avoir jamais eu une pareille reine. » (Forni à la princesse Marie ; Varsovie, 29 mars 1645. A. C.) — Marie de Gonzague, ou plutôt Louise, car c’est sous ce nom qu’elle régnera, — son époux lui ayant demandé « de s’abstenir, par respect, du saint nom de la B. V. Marie » (lettre de Roncali, 12 juillet 1645, A. C), — avait alors passé la trentaine. La première femme de Wladislas, Cécile-Renée d’Autriche, fille de l’empereur Ferdinand, était morte en 1644. On mit en avant la reine de Suède, Christine, pour unir les deux couronnes ; mais ce projet n’eut pas de suite. Mazarin saisit le joint fort habilement et donna le choix entre trois princesses, Mlle de Longueville, Mlle de Guise, Mlle de Nevers. Le frère du roi, Jean-Casimir, qui les avait vues toutes les trois en France, indiqua la dernière. À la mort de Wladislas, ce même Jean-Casimir quitta les ordres sacrés pour succéder à son frère et fut le second mari de la reine Louise (1649).