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de politique ou d’amour ces habitudes de calcul impitoyable qui ne le garantiront pas des illusions. La postérité apprendra par sa plume qu’avant de s’appliquer à gagner le cœur de la plus charmante des princesses, il avait supputé les avantages qu’il pourrait recueillir de cette bienveillance[1]. Il expose avec la même sécheresse les précautions dont il enveloppe les premiers témoignages de son amitié pour le duc d’Anguien, évitant de négocier directement, prenant ses sûretés de tous côtés.

M. le Duc se contenta des assurances que Marsillac avait recueillies de la bouche de la Reine et transmises à Coligny. Nous avons vu par le ton de ses lettres écrites au bivouac, la veille de Rocroy[2], avec quel feu il avait pris parti pour la régence. Aussi Anne d’Autriche aimait-elle à penser que les mesures qui, en fortifiant son pouvoir, grandissaient Mazarin, ne servaient pas moins les intérêts de la maison de Condé.

Au milieu des labeurs et des embarras de sa première campagne, M. le Duc apprenait à la fois le commencement et la fin de ces incidens, l’outrage fait à sa sœur et la réparation, les tentatives des Importans et leur défaite ; à son retour d’Allemagne (novembre 1643), tout était accompli. Néanmoins, en revoyant Maurice de Coligny, il lui fit comprendre que la satisfaction donnée par une femme ne suffisait pas et qu’il était temps d’en demander compte aux amis de Mme de Montbazon.. Coligny n’attendait qu’un mot : il aimait sincèrement, respectueusement Mme de Longueville, et tenait surtout à ne pas la compromettre ; c’était Anguien lui-même qui, le premier, avait, au nom de Madame la Princesse[3], imposé silence à l’amitié de Maurice. Sur ces entrefaites, le duc de Beaufort ayant été mis en prison, Coligny s’adressa au personnage le plus en vue de la coterie, et, sous un prétexte quelconque, appela le duc de Guise. La rencontre eut lieu place Royale. Quand on rapproche ces deux noms, on devine quelle émotion cela causa ! L’avantage ne resta pas au petit-fils de l’amiral : Maurice avait plus de cœur que d’adresse ; il était convalescent et se servit mal de ses armes, tomba en se fendant, fut injurieusement épargné par son adversaire, désarmé deux fois, frappé. La terrible loi sur les duels était en vigueur ; chacun fermait sa porte au blessé ; mais le duc

  1. « J’eus enfin sujet de croire que je pourrois faire un usage plus considérable que Miossens de l’amitié et de la confiance de Mme de Longueville ; je l’en fis convenir lui-même ; il savoit l’état où j’étois à la cour, etc.. » (Mémoires de La Rochefoucauld.)
  2. Voir t. IV, p. 73 et 488.
  3. « Témoignés à Coligny qu’il vous ofanseret s’il témoignet se vouloir intéresser dans cète afaire, car il ne le fault pas. Brûlés cète lettre. » (Suivant l’usage, cette recommandation ne fut pas observée.) — Mme la Princesse à M. le Duc, 6 août 1643. A. C.