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d’honnêteté et de modestie[1] ; » mais elle ne put ni garder pour elle le secret de sa résolution, ni empêcher la malignité d’en rechercher les causes et de l’attribuer « à la douleur ou au dépit. » Toujours est-il que le sacrifice était consommé lorsque le vainqueur de « Norlingue » vint achever sa convalescence et prendre ses eaux à Chantilly.


C’était le tems de la bonne Régence,
Temps où la ville, aussi bien que la Cour,
Ne respirait que les jeux et l’amour,


au printemps, avant l’ouverture de la campagne, sous les majestueux ombrages de Compiègne ; à l’automne, parmi les sites pittoresques de Fontainebleau, lorsque dans ce palais, le plus beau du monde, affluaient ceux qui revenaient de l’armée ; « ce ne sont que comédies, sérénades sur l’eau, promenades en forêt[2]… »


Aucun amant qui ne servît son roi ;
Guerrier aucun qui ne servît sa dame[3].


Aussi, lorsqu’on sut que tout était rompu entre Louis de Bourbon et celle qui sera désormais sœur Marthe de Jésus, il devint le but de mainte provocation : « Neuillant veut tout mettre en usage pour vous engager cet hiver[4]. » Dans cette aimable fille, assez chansonnée alors, comment reconnaître l’austère dame d’honneur dont la probité ne fléchit pas devant les menaces du plus impérieux des rois, du plus puissant, du plus passionné des amans[5] ? — Une héroïne de la galanterie, bien autrement hardie et compromise, l’altière duchesse de Montbazon, crut un moment que le pouvoir de ses charmes enchaînerait à son tour


Ce jeune duc, qui tenait la victoire
Comme une esclave attachée à son char ;

  1. Lenet. — Lorsqu’on connut, ou plutôt lorsqu’on devina la rupture des relations entre les deux amans, les prétendans devinrent nombreux, sans qu’aucun ait gardé rancune de se voir éconduit. Un des plus sérieux fut le marquis d’Uxelles, Louis Châlon du Blé, tué en 1658.
  2. Gramont à M. le Duc ; 8 octobre 1644. A. C.
  3. Saint-Évremond.
  4. Rohan à M. le Duc ; 27 juin 1646. A. C.
  5. C’est bien cette même Suzanne de Baudéan, fille du comte de Neuillant, qui mariée au duc de Navailles, ferma la « chambre des filles » au jeune Louis XIV, lorsque celui-ci voulait y chercher Mlle de La Vallière. Elle mourut en 1700, âgée de soixante-quatorze ans. Son frère, Charles de Baudéan, sr de Neuillant, fut tué à Lens.