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était peu nombreuse ; la sœur même était exclue : sous le prétexte des soins qu’exigeait une grossesse avancée et assez laborieuse[1], « Madame la Princesse n’a pas voulu que Mme de Longueville aye esté à Chantilly ; elle en est très faschée. » Tout se passa convenablement, si ce n’est tendrement ; « l’entrevue fut autant civile et honneste que l’on la peult souhetter : embrassemens de toutes parts, conversation à toute heure du jour seulement, et pour les choses extérieures on n’en peult souhetter davantage[2]. » Il y a quelques réticences dans ce court récit.

Le prétendu excès de pouvoir imputé à un ministre tout-puissant ne suffisait pas pour faire rompre l’union que l’église avait consacrée au mois de février 1641. La stérilité de l’épouse, permettant d’établir que le mariage n’avait pas été consommé, aurait fourni un argument qu’en pareille circonstance d’habiles casuistes surent employer avec succès. M. le Duc regrettait-il le mouvement généreux ou le calcul qui un moment le rapprocha de sa femme ? — La naissance du duc d’Albret s’élevait comme un obstacle à tout projet de séparation conjugale ; or le rêve du « démariage » agite l’imagination de Louis de Bourbon ; cette idée l’obsède ; la présence à ses côtés de la nièce de Richelieu lui rappelle tant d’humiliations infligées par la lourde main du cardinal ! il oublie les bienfaits, les devoirs, ne considère plus qu’un odieux souvenir ; et si des combinaisons de parti lui imposent quelques ménagemens, si sa fougue est contenue par certains obstacles que nous ferons ressortir plus loin, il est le plus souvent tout à sa passion, brûlant du désir d’être libre pour offrir sa main comme il a déjà donné son cœur.

Sans s’expliquer nettement, sans s’associer à des projets plus ou moins vagues, Madame la Princesse ne combat pas le sentiment de son fils. Quand elle lui écrit, elle donne des nouvelles de tous, mari, fille, petit-fils, amis et amies ; jamais un mot de la bru. L’alliance Brézé n’est pas son fait ; Mme du Vigean est de ses amies[3], et les filles de la baronne comptaient parmi les « inséparables de Mlle de Bourbon. » Les vers, les complimens sent pour Mlle de Bourbon et sa troupe ; ces jeunes filles se marient sans qu’on cesse de les chanter ; d’autres noms se mêlent aux leurs : les filles d’honneur de la Reine-régente, Neuillant, Beaumont, Guerchy, Beuvron, Chémerault, sont, elles aussi, accablées d’odes, de sonnets, et deviennent le point de mire des vaudevilles équivoques. Dans ce concert

  1. Le 30 avril 1645, Mme de Longueville avait perdu son premier enfant, Mlle de Dunois. Le 12 janvier 1646, elle donna le jour à un fils, Jean-Louis-Charles, qui entra dans les ordres et mourut en 1694.
  2. Blainville à M. le Prince ; Paris, 12 octobre 1645. A. C.
  3. Voir t. III, p. 458-461.