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vive à Pesth, où elle a soulevé les susceptibilités magyares, où elle est apparue comme une œuvre de centralisation allemande, et elle ne sortira pas sans blessure des discussions passionnées engagées depuis quelques jours déjà dans le parlement hongrois. Le chef du cabinet de Pesth s’était flatté d’abord d’enlever d’autorité la loi nouvelle, de la faire accepter tout entière par sa majorité, et il comptait si bien sur son ascendant, qu’il avait commencé par se refuser à toute transaction, en déclarant qu’il n’accepterait ni modification ni amendement, que c’était pour le ministère une question de confiance. L’autorité de M. Tisza et ses menaces de démission n’ont pas suffi pour décourager les résistances. La loi nouvelle a rencontré aussitôt une ardente opposition, non-seulement dans l’extrême gauche et dans ce qu’on appelle le parti de l’indépendance, mais encore dans le parti plus modéré dont le comte Albert Apponyi est le chef, et même dans une fraction libérale de la majorité ministérielle dont le principal orateur est M. Horvath. On accuse la loi de manquer à la constitution, d’annuler les prérogatives du parlement en fixant pour dix ans le chiffre du contingent annuel dont le gouvernement peut seul disposer ; on lui reproche de faire une part trop large à l’élément allemand, d’imposer aux volontaires d’un an, aux officiers de réserve, des conditions excessives dans leurs examens sur la langue allemande, de méconnaître les droits de la langue hongroise.

C’est sur tous ces points que s’est engagée une discussion passionnée, orageuse, parfois entrecoupée d’incidens violens. M. Tisza, malgré sa raideur, a bien été obligé de faire quelques concessions, sinon sur le fond, du moins dans la forme, par des explications qui ont atténué ses déclarations premières, même par des engagemens pris au nom de la couronne. Et en faisant des concessions, le président du conseil hongrois a-t-il du moins réussi à rallier les dissidens, à apaiser quelque peu ses adversaires ? Bien au contraire, on dirait que les résistances ne font que s’enhardir et s’aggraver. Les manifestations publiques se succèdent. Les discussions du parlement, à mesure qu’elles se prolongent, semblent s’envenimer et devenir de jour en jour plus passionnées, plus tumultueuses. M. Tisza finira sans doute par triompher de toutes les oppositions ; mais il est fort exposé à voir du coup sa popularité compromise, et ce serait au moins curieux de voir un des plus chauds partisans de l’Allemagne et de la triple alliance perdre le pouvoir en défendant une loi proposée par l’Autriche pour faire honneur à la politique de la triple alliance !

Et voilà comment l’imprévu se mêle toujours aux affaires humaines. Au moment même où la loi militaire est si vivement agitée à Pesth, l’empire d’Autriche se trouve atteint par l’événement le plus inopiné, la mort soudaine de l’archiduc Rodolphe, héritier de la couronne, enlevé dans l’éclat et la force de la jeunesse. L’archiduc Rodolphe était