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leurs forces navales dans l’archipel de l’Océan-Pacifique, et ils ont déjà réclamé diplomatiquement. De sorte qu’en dépit de ses déclarations rassurantes, M. de Bismarck pourrait bien se créer de grosses difficultés avec cette politique coloniale, qui est certes fort légitime pour un grand empire, qui ne laisse pas aussi quelquefois d’être assez compromettante.

Ce n’est pas tout de tenter les grandes entreprises, de s’engager dans les expéditions lointaines ou dans les alliances continentales. Les politiques à grandes prétentions ne vont pas sans les grands armemens, sans des dépenses toujours croissantes : tout le monde l’éprouve aujourd’hui, et ce n’est pas sans peine que les états les plus puissans suffisent à l’excès de leurs charges, arrivent à se créer les ressources extraordinaires dont ils ont besoin.

Les gouvernemens proposent, les parlemens qui représentent les peuples disposent, et les peuples, qui disent toujours le dernier mot par l’impôt, commencent à trouver que les politiques coloniales, les alliances fondées sur le développement continu, outré des forces militaires, coûtent cher. Ce n’est point peut-être la bonne volonté qui manque à beaucoup d’Italiens pour se mettre à la hauteur du rôle assez chimérique que leurs chefs officiels du moment rêvent pour eux. Il n’est pas moins aisé de distinguer que l’Italie, déjà éprouvée par une crise économique des plus graves, commence à se lasser d’une politique dont elle sent le danger et de dépenses auxquelles ses ressources ne peuvent plus suffire. Sans attacher plus d’importance qu’il ne faut à des meetings organisés sous des influences assez confuses, on pourrait dire que ces manifestations qui se succèdent à Milan, à Naples, même à Rome, sont le signe d’un état d’esprit entièrement favorable à la paix, aux économies. Cet état d’esprit, en dehors des excentricités des réunions populaires, il existe visiblement dans la nation; il se révélera peut-être demain dans le parlement qui vient de se rouvrir, et il peut créer plus d’une difficulté à M. Crispi, si le premier ministre du roi Humbert a, lui aussi, de nouveaux projets militaires et financiers à proposer. L’Italie vraie, celle qui ne suit pas les mots d’ordre ministériels, cette Italie veut bien avoir une belle armée, une belle marine, elle veut bien être l’alliée des grands empires, elle ne paraît plus trop disposée à tout sacrifier, même ses relations avec la France, à une politique qui ne lui a valu jusqu’ici que quelques mécomptes, des visites décevantes et des charges nouvelles.

A voir les choses de près, des armemens et des impôts, c’est toujours le dernier mot de la politique régnante, et l’Autriche, à son tour, a quelque peine aujourd’hui à faire accepter la nouvelle loi militaire qu’elle s’est crue obligée de proposer. Cette loi nouvelle, destinée à augmenter l’armée autrichienne, elle a été assez facilement votée à Vienne, au centre de l’empire; elle a rencontré une opposition plus