Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est pas lui, on peut l’en croire, qui a inventé la politique coloniale; il n’a fait que suivre l’inspiration de l’Allemagne, le mouvement national favorable à l’expansion allemande. Il est le plus soumis des chanceliers, il ne fera que ce que le parlement voudra, il ne dépassera pas d’une ligne la limite qui lui aura été tracée! Il n’y a que les progressistes, M. Richter en tête, qui, avec leur malignité, puissent l’accuser d’imposer ses volontés, d’entraîner l’Allemagne dans des conquêtes lointaines ou dans une croisade pour l’abolition de l’esclavage. Il n’a pas de ces arrogances ou de ces naïvetés ; l’abolition de l’esclavage le laisse bien tranquille : il ne voit que l’intérêt de l’empire, l’ascendant nécessaire de l’Allemagne à côté des puissances qui règnent sur les mers. Deux millions, c’est tout ce qu’il demande aujourd’hui pour maintenir cet ascendant ! Le chancelier met surtout son habileté à bien démontrer au Reichstag qu’il est en parfaite intelligence avec l’Angleterre à Zanzibar comme à Samoa. L’Angleterre, mais c’est l’alliée traditionnelle depuis cinquante ans ! Il ne veut pas se séparer d’elle, il ne veut rien faire que d’accord avec elle. Le blocus n’est qu’une forme sensible et visible de cet accord. M. de Bismarck s’étudie en un mot à rassurer tout le monde sur ses intentions, aussi bien que sur les conditions et les conséquences des entreprises coloniales qu’il poursuit.

Voilà qui est au mieux. Il reste à savoir si tout est aussi simple et aussi facile que le laisserait croire le langage de M. de Bismarck, si toutes ces déclarations de bonne amitié prodiguées avec un peu d’affectation à l’Angleterre ne sont pas une tactique destinée à déguiser d’intimes froissemens. Les Anglais ne s’y méprennent peut-être pas. Ils peuvent avoir l’air de sacrifier leurs ressentimens et leurs griefs pour garder l’apparence d’une entente avec le grand empire continental: ils savent bien qu’au moment même où le chancelier les flatte de ses plus caressantes paroles, un de leurs agens les plus estimés, sir Robert Morier, est publiquement, officiellement l’objet des plus violentes attaques à Berlin; ils ne peuvent pas oublier que, s’ils ont consenti au blocus de Zanzibar, ils ne sont pas intéressés à voir les Allemands prendre position sur la côte orientale d’Afrique, étendre des opérations dont ils souffriront dans leur commerce et dans leurs missions. A Samoa, c’est bien autrement grave. Ici il y a entre Allemands, Anglais et Américains une sorte de traité pour reconnaître la neutralité de l’archipel de Samoa. Les Allemands n’ont pas moins tenté par tous les moyens, par la création d’un petit roi de leur façon, par des excitations de guerre civile, même par des interventions à main armée, d’introduire leur protectorat. L’Angleterre fût-elle résignée à ne rien dire, les États-Unis sont là, et ils ne paraissent pas disposés à laisser les Allemands s’établir à Samoa. Les Américains, toujours pleins de susceptibilités jalouses, n’ont pas caché leur intention d’augmenter