Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui peut tout au moins devenir une grosse et embarrassante affaire pour l’Allemagne.

Comment l’Allemagne, qui a des ambitions proportionnées à ses succès et à son rang dans le monde, réussira-t-elle à réaliser ce qu’elle désire, à être une grande puissance maritime et colonisatrice, à s’assurer des stations dans toutes les mers? C’est l’œuvre qu’elle poursuit depuis quelques années, et qui n’est point visiblement sans rencontrer des difficultés assez sérieuses. Elle n’en est encore qu’aux débuts, et elle se trouve déjà engagée dans deux affaires passablement compliquées, l’une sur les côtes de Zanzibar, l’autre dans l’archipel de Samoa. Attirée par l’esprit aventureux d’une compagnie particulière de colonisation à Zanzibar, elle veut maintenant rester là où ses pionniers ont planté le drapeau allemand, c’est bien clair. Elle a réussi à obtenir le concours du gouvernement anglais, et, de concert avec l’Angleterre, elle a organisé le blocus de la côte orientale d’Afrique. Le prétexte habilement choisi a été la répression du trafic des esclaves ; en réalité, l’unique objet des Allemands est la prise de possession d’une partie de ces régions de l’Afrique orientale. Seulement tout s’est compliqué par degrés. Les indigènes ont opposé une résistance acharnée à l’invasion étrangère; des colons allemands ont été massacrés. Ce qui n’était d’abord qu’une affaire privée est devenu rapidement une affaire d’état. Aujourd’hui c’est l’empire lui-même qui se substitue à la compagnie primitive de colonisation, qui se croit obligé d’intervenir pour ses protégés, pour ses nationaux, et se trouve insensiblement engagé dans une campagne dont on ne peut mesurer ni l’étendue ni les conséquences. A Samoa, l’Allemagne se trouve mêlée à une guerre civile qu’elle a excitée, dont elle a espéré profiter pour établir sa domination ou son protectorat, et, ici encore, elle se rencontre avec l’Angleterre d’abord, — surtout avec les États-Unis, surveillans jaloux de tout ce qui se passe dans l’Océan-Pacifique. C’est sur tous ces faits, sur ce travail d’expansion de l’Allemagne, que s’est récemment ouvert devant le Reichstag un débat où M. de Bismarck est intervenu avec son autorité de vieil athlète. Muet sur les affaires de l’Europe, le chancelier s’est jeté dans la mêlée pour Zanzibar, pour la défense d’une politique où il voit aujourd’hui un intérêt supérieur de l’empire.

Deux fois en peu de jours, la discussion s’est engagée au parlement de Berlin, et par deux fois le chancelier, animé au feu de la controverse, émoustillé par les critiques du chef des progressistes, M. Richter, de M. Bamberger, s’est mis à disserter sur cette politique coloniale pour laquelle il demande quelques millions. La discussion a certes son intérêt, et parce qu’elle dit et parce qu’elle ne dit pas. Chose bizarre ! loin de procéder avec la brusquerie de son génie hautain, le chancelier a mis cette fois tout son art à pallier les inconvéniens des expéditions lointaines, à atténuer ses responsabilités. Oh !