Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 91.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vainement M. Lefèvre-Pontalis, dans un langage aussi sensé que décisif, a essayé de rappeler ces vérités et a proposé de reprendre un article qui avait été voté par le sénat, qui mettait certaines conditions à l’appel des ministres du culte ou les affectait tout au moins aux services hospitaliers. Ni M. Lefèvre-Pontalis, ni M. Reille, ni M. Keller n’ont été écoutés. La chambre a tenu à aller jusqu’au bout, à tout voter au plus vite, comme si elle sentait le temps et le pouvoir lui échapper. Le résultat est une loi qui ne répond ni à l’intérêt militaire ni aux intérêts moraux du pays, qui ne serait qu’une vaste désorganisation. La compensation, c’est que cette loi est très vraisemblablement destinée à n’être jamais exécutée, à rester le témoignage éphémère des passions, de l’ignorance d’une chambre vouée aux œuvres stériles. La chance encore heureuse, c’est qu’en dehors des vaines agitations et des efforts des partis, notre armée, telle que l’a faite une loi prévoyante, reste ce qu’elle est, solide, discrète, laborieuse, dévouée, — Toujours prête à remplir ses devoirs pour la France !

Oui, sans doute, à moins que des événemens imprévus ne viennent confondre tous les calculs, à condition qu’on ne se fie qu’à demi aux apparences et qu’on ait l’œil toujours ouvert, l’Europe est à la paix. Telle est même l’émulation de discours, de déclarations pacifiques, que cet empressement à tranquilliser le monde semble quelquefois être l’effet d’un mot d’ordre concerté entre les gouvernemens.

C’est entendu, si la situation reste à peu près toujours la même sur l’échiquier européen, les intentions ne cessent pas d’être rassurantes, et si l’on reste de toutes parts sous les armes, c’est pour mieux protéger la paix. D’aucun côté, on ne voit pour le moment les signes de conflits si prochains! L’empereur Guillaume II l’a déclaré il y a quelques semaines à l’ouverture de l’empire allemand; il l’a répété il n’y a que quelques jours en ouvrant le parlement particulier du royaume de Prusse et en confiant aux députés prussiens ses impressions sur ses voyages d’automne. L’empereur Guillaume paraît satisfait de tout ce qu’il a vu, de tout ce qu’il a recueilli sur les dispositions des alliés de l’Allemagne. Peut-être attendait-on de M. de Bismarck, qui est rentré récemment à Berlin, quelques explications de plus, un de ces discours qui éclairent ou troublent l’Europe, en lui faisant sentir ce que coûte cette paix dans laquelle elle a provisoirement la chance de se reposer. M. de Bismarck n’a rien dit jusqu’ici, au moins sur les affaires générales du continent, sur les rapports des grandes puissances entre lesquelles s’agitent les questions souveraines. A dire vrai, le chancelier paraît depuis quelque temps occupé de bien d’autres choses, de M. Geffcken, de sir Robert Morier, — ou de la politique coloniale. Ce sont-ses obsessions du moment. Ce qui paraît surtout occuper aujourd’hui M. de Bismarck, et l’occupation est certes des plus sérieuses, c’est la politique coloniale, qui devient décidément,