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sera ce qui pourra; mais ce serait assurément une puérile illusion de se figurer qu’il peut suffire aujourd’hui de proposer des moyens répressifs, de substituer le scrutin d’arrondissement au scrutin de liste, de mettre à la place de M. Floquet M. Tirard, de varier l’amalgame des opportunistes et des radicaux dans un ministère.

Le temps de ces médiocres expédiens est passé. Quelles que soient les lois qu’on votera, quel que soit le ministère qui sera formé, la première condition désormais est de changer de conduite, d’en revenir résolument à une politique réparatrice, — celle que M. Challemel-Lacour conseillait avec éloquence avant l’élection, celle que M. Bardoux vient d’exposer encore avec une raison persuasive après l’élection. L’entreprise est difficile et tardive, dit-on; elle ne peut réussir, elle ne suffirait plus pour rallier les conservateurs, et elle ne trouverait pas une majorité dans une chambre impénitente jusqu’au bout. C’est possible. Ce qui est bien plus certain encore, c’est que la république compromise, diminuée et suspecte, ne peut plus se relever qu’avec une politique nouvelle, une assemblée animée d’un esprit nouveau et des pouvoirs résolus à rendre au pays la sécurité qu’il n’a plus, les garanties d’un régime d’équité, de tolérance et de modération.

Après cela, à quoi peut servir maintenant cette chambre usée et épuisée, dévorée de divisions intestines et d’anarchie vulgaire qui, au lieu d’être la force d’un régime en péril, n’est qu’une faiblesse de plus dans des circonstances difficiles? Qu’elle aille jusqu’au bout, qu’elle doive mourir d’une mort prématurée par une dissolution plus ou moins prochaine, elle est destinée à finir comme elle a vécu, après avoir tout agité et tout compromis, les finances aussi bien que la paix morale, l’intégrité des institutions aussi bien que la dignité parlementaire. On se plaisait récemment à exposer ce qu’elle a fait durant cette législature, à retracer en termes presque pompeux ce qu’on pourrait appeler son bilan ou son testament. La vérité est que tout ce qu’aura fait cette assemblée se réduit à peu près à des actes de violence ou de désorganisation, et une de ses dernières œuvres est cette loi militaire qu’elle vient de voter, qui, après être allée de la chambre au sénat, du sénat à la chambre, va revenir encore une fois au Luxembourg tout aussi incohérente, toujours marquée du même sceau de l’esprit de parti. Où donc était la nécessité de toucher à une organisation militaire éprouvée, à cette loi de 1872 qui reste la vraie et grande réforme, qui a produit les meilleurs résultats, qui a donné à la France une armée sérieuse, solide et dévouée? Quelle innovation prétend-on réaliser? Il ne s’agit pas d’introduire dans notre organisation militaire le principe du service obligatoire ; il y est, il est consacré et universellement accepté. Il ne s’agit pas non plus de s’assurer l’avantage du nombre, comme l’a dit M. le ministre de la guerre; il n’est point douteux qu’avec la loi de 1872 on pourra avoir autant d’hommes qu’on le